Régis Debray a remis au ministre des affaires étrangères, Dominique de Villepin, le rapport du comité de réflexion et de propositions sur les relations franco-haïtiennes, présidé par l’écrivain. Le texte, diffusé mercredi 28 janvier, débute par l’évocation du passé commun entre la France et l’ancienne colonie de Saint-Domingue. Les relations avec Haïti ne relèveraient pas de la « politique étrangère », « ils mettent en jeu les rapports de la France avec elle-même », d’où leur caractère « délicat, émotif ». Cependant, « Haïti fait partie de notre histoire, mais non de notre mémoire. Le faible connaît le fort, qui le méconnaît ». Deux présidents américains ont foulé le sol haïtien ; aucun président ou premier ministre français ne l’a fait. « Nous avons tous refoulé la geste de la première République noire. » Après ce constat initial, le texte aborde la « campagne de propagande » lancée par le président Jean-Bertrand Aristide, qui demande la restitution de la « dette de l’indépendance » et une réparation pour l’esclavage. « La requête haïtienne n’a pas de fondement juridique, sauf à requalifier juridiquement des actes appartenant au passé et à admettre une inadmissible rétroactivité des lois et normes », réplique le rapport. Le comité admet toutefois que « pour n’importe quel patriote haïtien, cette vieille affaire suscite incontestablement un pincement au cœur ». Après avoir rappelé que la France est le seul pays d’Europe qui a reconnu l’esclavage comme un crime contre l’humanité, le texte prône « une logique de solidarité et non de remboursement ». « Oui au devoir de mémoire », « non au ressassement ». Depuis le retour du président Aristide (1994), Haïti a reçu près de 2 milliards d’euros d’aide internationale. « Ne dissimulons pas l’impression de gâchis qu’inspirent les volumes d’énergie, de temps et d’argent déversés par le passé dans ce tonneau des Danaïdes, poursuit le rapport. Le taux d’échec des programmes de coopération est anormalement élevé ». Parmi les causes, le « désajustement des mentalités », un « individualisme désorganisateur (80 partis politiques) », l' »égoïsme invétéré de la classe dirigeante », la « captation de l’aide par les petits chefs ». « UN ÉTAT EN GUENILLES » Au lieu d’une « assistance ambitieuse mais en accordéon », un « Yo-Yo néfaste » en fonction des conjonctures politiques, le comité « milite pour une coopération au souffle long ». D’autant qu’un fait nouveau autorise l’espoir : « L’émergence en pointillé d’une conscience nationale (et non nationaliste ou « noiriste »), à travers une opposition civile encore orpheline de leadership mais qui se dit prête à assumer ses droits et devoirs. » La France devrait donc contribuer à la consolidation d’une « nation solidaire » et d’un « Etat de droit fiable ». La « stérilité » des sanctions économiques est avérée, ses effets pervers l’emportent. « Quelle bonne gouvernance espérer d’un Etat en guenilles ? », se demande le comité, qui propose une négociation visant à débloquer l’aide européenne. Tout en rejetant une quelconque rivalité avec les Etats-Unis, le rapport Debray prône une collaboration française privilégiée en matière de sécurité avec le Canada, pays « dont nous sommes le plus proche par l’esprit, la langue et l’absence d’ambition hégémonique ». LE MONDE 29 janvier 2004
Régis Debray propose le déblocage de l’aide à Haïti
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