Amnesty International : La vie quotidienne dans les camps haïtiens, un combat

Deux mois après le tremblement de terre, des milliers de personnes, à Port-au-Prince et ailleurs, continuent à attendre ne serait-ce qu’un début d’aide humanitaire. Dans les quatre camps de fortune où nous nous sommes rendus lors de nos premiers jours en Haïti, chaque jour est une lutte et les conditions sont terribles, c’est peu de le dire. Les gens sont privés d’eau, de nourriture, d’installations sanitaires ou d’abri. La résilience et la solidarité qui les unit sont les seules choses sur lesquelles les habitants de ces camps peuvent compter.Il y a des camps partout. Chaque espace en plein air, que le terrain soit public ou privé, est occupé par des centaines, voire des milliers de personnes. Les gens s’abritent pour la plupart sous des draps et des serviettes de toilette, des tentes, des bâches ou, pour les plus industrieux, sous des structures faites de bois et de fer-blanc de récupération.Dans les camps que nous avons visités à Cité Soleil, Delmas et Champ-de-Mars, des comités locaux se sont créés, improvisant et prenant en charge les tâches d’intendance de base : coordination, sécurité pendant la nuit, enregistrement des familles, activités pour les enfants, creusement de latrines ou délimitation des espaces communs. La participation des femmes et leur représentation au sein des comités est cependant restreinte.Ceci dit, la plupart des femmes sont à l’extérieur, dans les rues de Port-au-Prince, vendant diverses marchandises et essayant de gagner de quoi nourrir leur famille. À certains points de distribution, d’autres femmes font patiemment la queue dans l’ordre et la discipline afin de recevoir du riz ou d’autres articles proposés par des organisations humanitaires, sous l’oeil vigilant de casques bleus de l’ONU ou de soldats américains lourdement armés.La destruction de la ville est massive et la plupart des locaux des institutions gouvernementales se sont écroulés ou sont trop endommagés pour fonctionner. Les représentants des autorités, comme des milliers d’autres Haïtiens, campent et travaillent au bord de la route.Le poste de police de Port-au-Prince est situé à quelques centaines de mètres des vestiges du Palais présidentiel et surplombe le Champ-de-Mars, un des espaces en plein air de la ville – désormais occupé par plus de 12 000 personnes. Ce poste de police accueille l’une des quelques unités mises en place pour lutter contre la violence à l’égard des femmes. Ce service se limite désormais à une table poussiéreuse installée sur le trottoir et est seulement opérationnel pendant la journée. Depuis le séisme, plusieurs pages d’un registre ont été remplies de plaintes pour abus sexuels et violences déposées par des femmes, des jeunes filles et des fillettes résidant dans le camp du Champ-de-Mars, de l’autre côté de la rue.Le jour où nous nous sommes rendus au poste de police, le policier de service à cette table a compté pour nous à contrecoeur le nombre de cas inscrits dans le registre : 52 cas de violences physiques et sexuelles depuis le tremblement de terre.Il nous a dit que de nombreuses victimes étaient mineures, âgées de 11 à 16 ans, et que la plupart des agressions se déroulaient la nuit. Bien qu’il sache où envoyer les victimes pour qu’elles bénéficient de soins médicaux après une agression sexuelle, il n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi, la nuit précédente, une femme sollicitant l’aide de la police après que quatre jeunes gens eurent tenté de violer sa fille de 17 ans s’est entendu dire que la police ne pouvait rien faire et que le maintien de l’ordre au sein des camps relevait de la responsabilité du président de la République. La confiance de la population envers la police en a été fortement ébranlée…La vie surgit au milieu des décombresLe petit Wilson est né au cours de la nuit précédant notre second passage à Cité Soleil, un camp de fortune où vivent 272 familles. Sa mère lui a donné naissance dans les conditions les plus insalubres que l’on puisse imaginer : par terre, à quelques mètres d’un canal d’eau stagnante à l’odeur fétide, obstrué par des ordures et couvert de mouches et de moustiques.Une autre femme du camp a aidé la mère de Wilson pendant l’accouchement, qui nous a été décrit comme difficile, sans eau propre, serviettes, ni instruments stériles pour couper le cordon.Âgé d’un jour, Wilson se reposait en toute quiétude dans les bras de sa mère, en aucun cas dérangé par notre présence, ni par la nuée de moustiques qui avaient envahi l’espace où nous nous trouvions, sous des draps de lit maintenus en l’air grâce à de la ficelle. Cette installation est sa maison natale. L’abri improvisé apportait de l’ombre et pas grand-chose d’autre, n’offrant aucune protection contre les dangers environnants. Il laisse ainsi trois enfants et leur mère, qui est veuve, exposés à la pluie et aux inondations récurrentes à Cité Soleil, et à la merci de maladies infectieuses.La saison des pluies approche et toutes les personnes avec qui nous avons parlé craignent le pire. Ce dont elles ont besoin, ce qu’elles demandent, c’est un toit au-dessus de leur tête. C’est leur priorité.Amnesty International

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