ANALYSE | Dialogue inter-haïtien : de l’impatience, de l’exclusion et des perdants

La presse confirme la signature de ce que les parties ont convenu de qualifier de protocole d’accord issu du dialogue inter-haïtien, mais les protagonistes de l’exercice se sont bien gardés de lui permettre de prendre connaissance du contenu afin d’en informer l’opinion publique. « Mais patience, patience, tempère la Médiatrice, vous en serez informés à temps », suffisamment en tout cas pour ne pas risquer de refroidir l’euphorie du moment. L’église catholique, il est vrai, nous a longtemps habitués à la pratique de la foi qui obnubile l’impatience, dans la perspective de soulever des montagnes et de mériter le paradis promis, mais … L’impatience, cette prémisse du raisonnement déductif, cette inoubliable ancêtre du doute raisonnable et irraisonnable, raisonné et irraisonné, n’a pas toujours été la bienvenue dans les conciliabules et Descartes avait raison qui cultivait et entretenait son impatience, autrement dit sa capacité à douter de toutes choses, à opposer le doute radical aux conclusions mêmes les plus heureuses. Quoiqu’il en soit, considèrent les analystes, si le contenu de l’accord n’est pas divulgable pour le moment, c’est qu’il doit bien en avoir une raison. Mais laquelle, justement ? Et puis, que se passera-t-il entre la date de l’annonce de la signature de l’accord sans en dévoiler le contenu et la date retenue pour le faire ? Quelle différence cette surprenante discrétion fera-t-elle dans l’état actuel de la situation sociopolitique ? Il fut un temps, certes, où les médecins se croyaient investis du pouvoir de cacher au malade les tenants et les aboutissants de la détérioration de son état physique et mental. Mais ce temps-là est bien révolu. Certains confrères accusent le coup. D’autres exhibent une moue de désapprobation : tout ce temps à faire le pied de grue pour finalement se borner à constater la fin de la première étape de la course sans même pouvoir identifier les gagnants. Car des gagnants et des perdants, il en y a, il y en aura assurément à l’issue de cet exercice, pour prendre le contrepied des tenants de la thèse voulant faire croire qu’il existerait des négociations sans perdants. Quoiqu’on dise. Négocier c’est lâcher du lest et, forcément, la gagnante des parties prenantes est celle qui aura eu la main la plus leste, ce qui lui permettra de contrôler le terrain et de tenir toutes les autres en laisse. Et, quand on sait que les parties prenantes de ces pourparlers inter-haïtiens sont le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et les partis politiques, l’on doute fort qu’il n’y ait que des gagnants dans cette lutte pour le pouvoir, livrée avec autant d’âpreté et de consistance – il faut le reconnaître – par les uns et les autres. Or, justement, les premiers perdants identifiés représentent la partie prenante dont tous se méfient et que tous redoutent : le secteur associatif de la société civile. Ce secteur-là, il n‘en est pas à sa première déception. Exclu de tous les dialogues, qu’il soit inter-haïtien, binational ou autre, ce représentant de la société civile inspire la méfiance et même la peur. Quoiqu’il en soit, les absents ont tort et les parties prenantes absentes du dialogue auront forcément tort de n’en pas tirer les conclusions utiles. Les seconds perdants sont les membres de « Religions pour la Paix ». Mais il faudra bien déterminer ce qu’ils ont réellement perdu. En fait, les véritables perdants sont les 99 % de la population, sous-représentés – pour ne pas dire non représentés – par ceux-là même qui en tirent représentativité et légitimité : l’Exécutif, le Législatif et les Partis politiques. Ces traditionnels perdants représentent la partie prenante la plus .. prenante, du fait même de leur poids sociopolitique. Elles ont une particularité, récente : elles se reconnaissent de moins en moins dans les formations politiques actuelles, y compris celles – intransigeantes – qui préconisent le tabula rasa, sans offrir d’alternative viable en retour. Caractérisée par son caractère volatile, cette nébuleuse légitimante est définie par son exclusion traditionnelle du véritable exercice de la prise de décision. L’attelage de bœufs de labour, inconscient de sa force, en quelque sorte, et qui se laisse conduire par un enfant. Comme un enfant. Le protocole d’accord qui a donc finalement été signé ce vendredi à l’hôtel El Rancho à Port-au-Prince entre les pouvoirs exécutif, législatif et les partis politiques, reste quad même le fait saillant de l’actualité politique de la semaine. Le sénateur Steve Benoit a été mandaté par le Sénat pour prendre part aux discussions et signer le protocole d’accord. Le président de la Chambre des députés, lui, n’était pas présent lors de la signature mais il s’est engagé à contresigner le document, selon une source proche de la Médiatrice. Tous sont d’accord sur un point : ce n’est pas un accord parfait. Mais, c’est quand même un pas en direction des élections, comme l’aurait admis le leader de la KID Yvens Paul. Ce dialogue inter-haïtien aura donc duré deux mois environ. Dans sa phase finale, les pourparlers s’étaient achoppés sur l’intransigeance affichée de certains secteurs représentés au Sénat.Pour parvenir à la phase de signature de cet accord, la trouvaille ultime aura été d’ajouter une section au document, une section exclusivement consacrée aux réserves exprimées par les parties. Faire cohabiter motifs d’entente et motifs de réserve dans l’accord aura été la grande trouvaille de la Médiatrice. Ce qui n’enlève rien, cependant, à sa fragilité, à sa volatilité. Méthode ingénieuse pour sauver les meubles. Mais pas suffisamment pour leur rendre leur fonction première et d’usage. Cap maintenant sur le dialogue national. HA/radio Métropole Haïti Crédit photo : themalaysianinsider.com

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