Coopération : Haïti République des ONG

Le Groupe de Recherche sur les Imaginaires Politiques en Amérique Latine (GRIPAL) a organisé, ce jeudi, à Port-au-Prince, une journée de réflexion, autour du thème : « raconter la souffrance après le retrait des ONG.» Cette journée de réflexion a été l’occasion pour l’institution de présenter les résultats d’une recherche conduite entre 2012 et 2014 sur l’intervention des ONG après le tremblement de terre du 12 janvier 2010 en Haïti, à partir des témoignages recueillis. Six panels de discussions ont été constitués. On a abordé des sous-thèmes, touchant, entre autres, à la question de bénéficiaires et de non bénéficiaires, à la relocalisation et à l’expulsion, et à l’absence de l’État. La réflexion était portée surtout sur modes d’intervention des ONG sur le terrain, au lendemain du séisme du 12 janvier 2010 ainsi que les diverses conséquences de leur retrait d’Haïti. André Corten, directeur exécutif du Groupe de Recherche sur les Imaginaires Politiques en Amérique Latine (GRIPAL), qui intervenait à cette occasion, a affirmé que le retrait des ONG intervenant en Haïti depuis le tremblement de terre du 12 janvier, favorise « l’émergence d’une vision haïtienne de la souffrance. » Selon André Corten, les ONG avaient « désappropriés les gens de leur propre vision de la souffrance, favorisant l’assistanat qui pour ainsi dire met les gens dans une situation d’incapacité de penser leur projet de vie de part eux-mêmes. Ainsi, avec « le retrait des ONG, les gens trouveront une nouvelle manière de raconter la souffrance », a-t-il fait savoir. Dans le cadre de la recherche de la GRIPAL, Andree Corten a souligné qu’il relève trois catégories « victimaires » dans l’action humanitaire. D’un coté, les non-bénéficiaires qui s’en sortiront mieux avec le retrait des ONG car, dit-il, ils ne dépendaient pas de leur assistance. Un deuxième groupe qu’il appelle les mauvais bénéficiaires qui parviendront à se forger une vie après le départ de ces Organismes internationaux car les gens de cette catégorie s’efforçaient toujours de garder une certaine autonomie par rapport à l’assistance, souligne M. Corten. Et une troisième catégorie, les bénéficiaires, qui de leur coté seront dans l’impasse avec le départ des ONG car ce groupe, selon lui, se tournait toujours vers les ONG tout en négligeant l’Etat. Selon les observations faites dans le cadre de la recherche, « l’urgence n’a pas rapport à la justice sociale, mais les ONG posent des actions en fonction surtout de raisons pragmatiques » La notion « d’urgence », présentée par les organismes internationaux, au lendemain du 12 janvier 2010 « va discriminer, quelque part, tous les opprimés et les pauvres du pays », souligne André Corten, car ils n’ont pas été « considérés comme prioritaires par rapport à ce schéma d’urgence », observe-t-il. De son coté, Le professeur Kawas Joseph, père jésuite, directeur du Centre de Recherche, de Réflexion et d’Action Sociale (CERFAS), intervenant à cette journée a souligné que « les défis fondamentaux n’étant toujours pas abordés, l’ère des organisations non gouvernementales (ONG) n’est pas prête de s’achever » Pour le directeur de CERFAS, Haïti sera maintenue pour longtemps encore dans « un statut de république des ONG », car quatre ans après le violent tremblement de terre qui a détruit la ville de Port-au-Prince, capitale politique et commerciale du pays, ainsi des zones environnantes, « les problèmes de la société haïtienne restent en entier », estimant que « les problèmes fondamentaux n’ont pas encore été abordés ». La « prolifération des ONG » après le séisme, selon père Kawas traduit une « absence criante de l’État en Haïti », incapable de « répondre à sa mission régalienne» « La fonction régulatrice » de l’État, qui jusque-là s’exerce par l’église et les ONG doit être rapatriée, préconise le religieux Pour sortir du statut de « République des ONG », père Kawas recommande la valorisation des compétences. Selon lui, il convient d’écarter le clientélisme, surtout dans le recrutement des cadres au niveau de l’administration publique, de travailler en vue de l’émergence d’une vraie société civile afin d’éradiquer du moins de diminuer les inégalités sociales héritées de la colonisation. MJ/ Radio Métropole

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