Tôt ou tard, toutes les parties prenantes haïtiennes devront, en toute sérénité, faire leur autocritique dans cet épineux dossier des relations haïtiano-dominicaines : une dégradante situation socioéconomique et politique provoquant une émigration massive de la population sans aucune politique d’accompagnement aux migrants en situation irrégulière en terre étrangère. Voici venir les temps du « mea maxima culpa ».Au terme de cette rencontre régionale à Port-au-Prince du 27 au 30 octobre 2013 pour analyser la situation des migrants haïtiens dans la région et trouver la façon la plus efficace pour les accompagner, les Jésuites de la Caraïbe ont exprimé leur inquiétude devant la dégradante situation socioéconomique et politique d’Haïti, en ce qu’elle continue de provoquer une émigration massive de la population, spécialement des couches rurales, qui sont obligées de laisser le pays à la recherche de meilleures conditions de vie. « De plus, un nombre grandissant de jeunes en quête du pain de l’instruction ou d’un meilleur avenir professionnel se voit également forcé de migrer vers l’étranger ; ce qui provoque une fuite d’énergie et de ressources humaines d’Haïti », ont déploré ces représentants de différents pays de la Sous-région de la Caraïbe du Réseau Jésuite pour les Migrants. La situation de misère extrême dans laquelle croupissent des milliers de migrants haïtiens en République Dominicaine est révoltante, ont-ils souligné. En dépit du fait que la majorité d’entre eux ait passé toute leur vie à travailler dans des champs de canne-à-sucre et constitue un support fondamental à l’économie du pays voisin, ces travailleurs migrants » ne jouissent cependant ni de pension, ni d’assurance sociale et vit dans des conditions extrêmement précaires ». »Nous sommes également préoccupés par le problème de documentation qui frappe la majorité des migrants haïtiens; leur statut irrégulier les rend encore plus exposés aux multiples violations, abus et injustices. Il faut mentionner que beaucoup d’entre eux sont continuellement victimes des réseaux très puissants de trafiquants établis dans la région ».Le fait que l’Etat haïtien ne dispose d’aucune politique d’accompagnement aux migrants en situation irrégulière en République Dominicaine est une autre situation qui soulève l’indignation des signataires de cette note de presse publiée à l’issue de la rencontre régionale. « Nous constatons malheureusement un manque d’intérêt et de volonté des deux gouvernements pour résoudre les problèmes liés à la question de documentation de la communauté haïtienne en territoire dominicain et du gouvernement haïtien pour éliminer les failles du système d’identification de ses citoyens. Au contraire, la centralisation et la complexité du processus d’obtention de pièces, sans parler du coût, rendent plus difficile l’accès aux documents d’identification et de voyage ». Le réseau cite en exemple, le fait que pour régulariser sa situation en République Dominicaine, un migrant haïtien, qui dispose déjà d’un acte de naissance, a besoin de 80 dollars américains (environ 3,500 gourdes) pour le passeport et 90 dollars américains pour obtenir un visa. « Ce qui équivaut à plus de deux tiers (2/3) de son salaire mensuel moyen ».Les conditions entourant les rapatriements massifs de migrants haïtiens sont aussi l’une de leurs préoccupations. Les gens, témoignent-ils, sont appréhendés dans les rues, sur leur lieu de travail ou à la maison sans leur laisser le temps de récupérer leurs effets personnels. L’une des plus graves violations enregistrées lors de ces rapatriements est la séparation des familles. « Nous dénonçons aussi les pratiques violentes et arbitraires au moment d’appréhender, d’incarcérer et de déporter les migrants haïtiens et haïtiennes en situation irrégulière. De plus, les autorités haïtiennes ne se sont guère avisées de l’heure et du nombre de migrants qui seront déportés ». Selon des chiffres fournis par des organisations dominicaines, plus de 3,000 migrants haïtiens sont déportés au cours des cinq premiers mois de l’année 2013. Cependant, aucune action concrète n’a, jusqu’à présent, été entreprise par les gouvernements haïtien et dominicain pour le respect des dispositions légales prévues dans le protocole relatif aux modalités de rapatriements paraphé par les deux États en décembre 1999. Les Dominicains d’ascendance haïtienne, ont-ils rappelé, vivaient depuis plus de sept années sous de lourdes menaces de déportations et de dénationalisation. « Leur situation s’est aggravée avec le récent et aberrant arrêt de la Cour Constitutionnelle dominicaine visant à enlever la nationalité acquise par le droit du sol (jus soli) » à plus de quatre générations de descendants de différents groupes d’immigrants en situation irrégulière. « Une décision que nous condamnons fermement et nous nous engageons à mener une lutte continue jusqu’au retrait ou amendement de cette sentence absurde. C’est pourquoi, nous appuyons les actions de la plateforme d’organisations dominicaines appelée «Dominican@s por Derecho» (Dominicains de Droit), qui défend le droit à la nationalité pour ces citoyens dominicains affectés par ladite décision ainsi que la consolidation de l’État de Droit en République Dominicaine ». En ce sens, ils exhortent les deux peuples et les organisations des deux pays à : •Renforcer leurs liens fraternels tout en continuant à lutter pour faire respecter les Droits humains sur l’île, et favoriser l’égalité des chances, surtout pour les plus vulnérables. Et ils exigent : Au gouvernement haïtien de: •Prioriser dans son programme une politique migratoire intégrale qui facilite aux Haïtiens vivant dans le pays et à l’étranger l’obtention des documents d’identité. •Promouvoir l’accompagnement et la protection consulaire des Haïtiens dans les pays voisins, principalement la où il y a une présence haïtienne significative. Au gouvernement dominicain de: •Reconnaître la contribution socio-économique des migrants haïtiens et garantir leurs droits au travail; •Se soumettre au processus dûment établi par le Droit international pour réaliser les détentions suivies de déportations. •Révoquer la décision de dénationaliser les Dominicains-nes, fils-filles de migrant-e-s haïtiens-nes. Le Réseau Jésuite pour les Migrants (RJM) est un réseau composé de centres sociaux, paroisses, écoles, universités et centres de spiritualité de la Compagnie de Jésus (les jésuites) en Amérique Latine et dans la Caraïbe qui accompagnent les personnes en situation de migration, de refuge et de déplacement ou qui font des recherches sur les causes et effets des flux migratoires dans nos sociétés. Le réseau est stratégiquement divisé en 4 sous-régions : la sous-région de la Caraïbe, celle de la Colombie et des pays limitrophes, celle de l’Amérique du Sud et celle de l’Amérique du Nord et du Centre. HA/Radio Métropole Haïti Credit photo : RJMC
Dossier Apatridie : les Jésuites de la Caraïbe indiquent la voie du « mea maxima culpa »
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