Fête internationale de l’Internet, ce mercredi 24 avril

Les internautes du monde entier sont à la fête ce mercredi 24 avril 2002. En Haiti, particulièrement à Port-au-Prince, la journée sera marquée par une rencontre d’information et de sensibilisation sur les enjeux de l’Internet par le Groupe Médialternatif . Pour l’occasion , Radio Métropole a reçu de l’Agence « Alter Presse » un texte de l’ingénieur Jean-Marie R. Noel, professeur a la Faculte des Sciences, Coordonnateur du Reseau de Developpement Durable en Haiti (RDDH), titré : »Au coeur des paradoxes : les NTIC en Haiti » que nous reproduisons in extenso. INTRODUCTION Je suis heureux, à l’occasion de la fête de l’Internet ce 24 avril 2002, de partager avec vous des réflexions sur un sujet aussi présent dans les débats : les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC). Mon texte se veut un message sur la place à accorder aux nouvelles technologies dans le processus d’amélioration des conditions de vie des populations. Il est aussi une invitation aux responsables à ne pas se boucher les oreilles, à ne pas ignorer les tendances actuelles mais au contraire à les intégrer sciemment, avec vision et stratégie. Les erreurs commises aujourd’hui peuvent nécessiter plusieurs décades pour être rectifiées ou compensées.Il se veut enfin un plaidoyer réaliste en faveur de l’utilisation des NTIC au service du progrès social, de l’éducation, du développement humain.Il s’intitule  » Au Coeur des Paradoxes : les NTIC en Haïti  » . Je devrais dire  » Au Coeur des Conflits « , tant la question relative à l’utilisation ou non des NTIC en Haïti campe des situations conflictuelles, à la limite même inconciliables. J’ai retenu  »paradoxe » parce que moins agressif. Vous en ferez vous-même votre propre jugement.LES PARADOXESLe premier paradoxe met face à face les sollicitations de la population haïtienne dans des domaines aussi basiques que la santé, l’éducation, l’alimentation, le transport, l’environnement et les exigences actuelles de  » l’économie du savoir  » impulsée par les NTIC.De telles sollicitations ne semblent guère encourager les gouvernements à inscrire l’innovation technologique comme priorité dans leur agenda d’actions. Faut-il en effet se préoccuper du développement de la Science et de la Technologie en général et des NTIC en particulier lorsque plus de la moitié de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté ?Quelle priorité accorder aux technologies lorsque les ressources publiques ne suffisent pas à garantir un minimum de scolarité de 4 ans à près de 50% de la population en âge scolaire ? Faire face au désastre qui menace l’environnement laisserait-il des ressources disponibles pour investir dans l’innovation technologique ? (1) On peut bien entendu multiplier les interrogations les unes plus pertinentes que les autres mais il faut garder à l’esprit que, quelque soit le domaine d’intervention à privilégier, la finalité fondamentale reste l’amélioration de la qualité de vie des haïtiens. La question de fond devient alors :  » Comment et jusqu’où le développement des NTIC peut-il contribuer à améliorer les conditions de vie des Haïtiens ? « Le deuxième paradoxe traite du déphasage de plus en plus grand – et ceci n’est pas une particularité haïtienne – entre les approches nouvelles, les matières premières et produits nouveaux immatériels promus par les NTIC et la rigidité des cadres institutionnels. S’agit-il du cadre légal et réglementaire, du système éducatif, des systèmes de production, de commercialisation, de l’exercice de professions, la vitesse avec laquelle s’accumulent les transformations technologiques actuelles ne laisse que peu de temps pour l’adaptation des institutions de régulation, la mise à jour des lois, la révision des curriculum des écoles, l’ajustement du fonctionnement des appareils de production et de gouvernance publique. (2)L’information, en tant que matière première et l’apparition d’une industrie de l’information sont venues avec leurs caractéristiques et leurs exigences propres. Certains paradigmes maître-élève, producteur-consommateur, sont tombés. Des notions aussi fondatrices de nos rapports socio-économiques comme la propriété, l’identité, la souveraineté sont dans bien des cas frappées de caducité, ou perdent de leur sens.De nouveaux mécanismes de régulation sont nécessaires. Des dispositions publiques en faveur de la gestion du domaine .ht et de l’interconnexion des fournisseurs de services internet, des mesures d’incitation à l’investissement en technologie seraient des signaux clairs dans le sens d’une réduction de ce décalage. Le troisième paradoxe – et non des moindres – oppose la forte tendance à globalisation et à l’intégration soutenue pour le développement des NTIC et le besoin d’expression identitaire et culturelle. Tout semble se jouer en faveur du renforcement de la globalisation : intenses développements technologiques banalisant la notion de frontière géographique, accroissement de flux commerciaux, des capitaux internationaux, plus grande mobilité des populations. Les nombreux regroupements économiques régionaux (UE, NAFTA, ZLEA…) ne sont que l’expression de cette situation. Il s’agit de s’organiser individuellement et collectivement pour tirer profit des opportunités naissant de la globalisation des échanges (3). Haïti a par exemple signé tous les accords commerciaux, légaux et institutionnels concernant la Caricom et la zone de libre échange des Amériques (ZLEA).Cette globalisation / intégration n’est pas hélas sans risques, surtout pour les petites économies. C’est ce que traduisent la crainte et la prudence de la plupart d’entre elles à  » entrer  » dans le jeu.Si cette crainte est compréhensible par le simple fait de l’inégalité des forces des acteurs potentiels de ce vaste marché – aujourd’hui encore la production des savoirs est concentrée au Nord – il n’en demeure pas moins vrai que les pays à petite économie peuvent gagner à faire partie d’un marché mondial plus vaste et plus ouvert (4), dont l’un des déterminants est justement le développement des NTIC. La récente loi votée par le Congrès américain accordant la parité NAFTA aux pays inclus dans le Programme du Bassin de la Caraïbe est riche d’opportunités pour l’industrie de la sous-traitance haïtienne. Mais ces pays devront quand même chercher à se prémunir contre les méfaits. C’est ce dualisme qu’a mis en relief le Rapport mondial sur la communication, les médias face aux défis des nouvelles technologies, UNESCO – Paris 1997, lorsqu’il relève :  » l’histoire montre que les pays qui ne profitent pas des opportunités qu’offrent les nouvelles technologies dans le domaine de l’information, de l’informatique et des télécommunications connaîtront un frein dans leur développement et un déficit de pouvoir de  » négociations  » dans le nouveau paysage mondial de communication. Mais l’histoire enseigne aussi que ceux qui se soumettent aux seuls mécanismes du marché global risquent de perdre leur valeur identitaire et culturelle. Dès lors l’enjeu est primordial. Il consiste à combiner les tensions fécondes entre les identités et les expressions particulières de chaque pays, les forces centrifuges de la globalisation des marchés et l’appartenance commune au genre humain dans sa diversité « . (5) A côté de ces paradoxes, des débats passionnés et passionnants opposent les tenants de la bonne vieille école à un courant moderniste. D’un côté comme de l’autre, les arguments ne manquent pas. Mais force est de reconnaître que ces technologies constituent des méga-phénomènes dont une bonne exploitation est plus justifiée qu’un rejet pur et dur dans la mesure ou le revers des  » défis  » à lever est l’ensemble des opportunités qu’elles véhiculent. OPPORTUNITESA titre de démonstration, retenons pour analyse le secteur éducatif. Les opportunités dans ce secteur sont énormes tant sur le plan global que sur le plan individuel.Réduction des inégalités d’accès à l’éducation Il faut reconnaître aujourd’hui de grandes disparités entre les pays du Nord et ceux du Sud.La production des  » savoirs  » se fait essentiellement au Nord. Les moyens mobilisés sont de loin plus importants. On estime que plus de 50% du PIB des économies de l’OCDE reposent maintenant sur le savoir. En conséquence, l’investissement se dirige vers les biens et services de haute technologie, notamment les technologies de l’information et des communications.. Les dépenses de recherche-développement atteignent environ 2,5% du PIB dans la zone OCDE et l’éducation représente 12% des dépenses publiques. (6) En Amérique latine les dépenses en Recherche et Développement atteignent à peine 0,6% du PIB. En Haïti, les dépenses d’éducation sont principalement supportées par les familles et la contribution de l’Etat représente un peu moins que 2% du PIB. Ces différences évidentes de moyens vont entraîner des résultats incomparables. De fait la production scientifique mondiale est localisée aux Etats-Unis et dans les pays de l’UE avec respectivement 36% et 30% des publications mondiales.Il est utopique de vouloir refaire le chemin parcouru par ces pays du Nord en recourant aux méthodes traditionnelles. L’utilisation des NTIC constitue un bon raccourci pour les pays du Sud. L’enjeu est que, à conditions égales de formation, on forme des gens capables de très bien exploiter l’information au Nord comme au Sud. Cet objectif est réaliste car il se vérifie déjà, dès lors que les moyens d’une université du Sud sont satisfaisants ou que les étudiants du Sud sont formés au Nord. (7) La maîtrise des NTIC par les enseignants et leur intégration dans le processus d’enseignement demeurent problématiques même dans les pays développés. C’est pourquoi les pays en développement dont Haïti ont une chance à saisir. En effet, la capacité qu’auront les Haïtiens à utiliser les outils NTIC aura des conséquences profondes sur la capacité du pays à produire des hommes et femmes bien préparés et par conséquent sur sa capacité à produire des richesses économiques.Réponse au problème des capacités d’accueil Au Nord comme au Sud, on se heurte toujours à des problèmes de dimensionnement et de capacité d’accueil.Au Nord, il s’agit d’offrir à chacun des possibilités toujours plus accrues de s’épanouir intellectuellement et professionnellement. Au Sud c’est souvent le moyen de progresser dans la société et de survivre décemment dans son propre pays, ce qui conduit à un surpeuplement et un déficit chronique des ressources de formation de base ou supérieure. (8) L’intégration des NTIC dans l ‘éducation, avec les pratiques de formation à distance, d’université virtuelle est appelée à réduire les pressions sur les structures physiques tout en assurant la possibilité de formation à vie.Compte tenu des contraintes spécifiques en Haïti comme le manque d’infrastructures énergétiques et de télécommunication, le taux d’analphabétisme élevé, il est utopique de miser sur une large exploitation des NTIC à des fins d’éducation dans un premier temps. Une approche prudente et réfléchie s’impose. Le développement et l’utilisation d’installations collectives publiques et privées à des fins de vulgarisation des NTIC semblent représenter une bonne stratégie d’approche (9).Rupture avec le système traditionnel L’intégration des NTIC dans l’appareil éducatif ne se fera pas sans heurts, sans remise en question. Certains chercheurs parlent d’une véritable rupture avec le système traditionnel dont les principaux éléments sont :· la flexibilité du processus d’apprentissage. Les NTIC offrent un degré inédit de liberté et flexibilité. Grâce à elles on peut de plus en plus s’affranchir de certaines contraintes temporelles ou de celles liées à la localisation de l’acte de formation. La mise en place d’ateliers de pédagogie personnalisée introduit une transformation radicale en abolissant l’unité de temps de la formation continue traditionnelle. Chaque stratégie y participe selon son propre rythme et suivant ses heures de disponibilité. (10)· la relation enseignant-apprenant. La formule verticale avec d’un côté celui qui sait, le maître, et de l’autre celui qui apprend, l’élève. Un monde d’information, de connaissances bbest ouvert aux deux catégories avec des chances que le savoir acquis par l’élève soit plus à jour que celui du maître. Les méthodes pédagogiques doivent être révisées pour mieux intégrer le nouveau rôle du maître selon la pédagogue Rachel Cohen :  » encadrer les élèves, leur apprendre à apprendre et à organiser leur travail, les aider à développer leur curiosité et leur capacité à choisir l’information pertinente  » (11)§ l' » individualisation de masse  » de la formation. Elle se fonde sur deux principes :· une offre de formation adaptée à la demande · une activité de l’apprenant qui prend en compte ses caractéristiques individuelles (stratégie cognitive, centres d’intérêt, …). (12)Il est clair qu’une telle démarche tranche avec l’approche traditionnelle peu centrée sur l’apprenant, privilégiant la quantité de contenus à voir, et mesurant son efficacité en termes de pourcentage des élèves ayant assimilé. Avec les NTIC, on va passer de la logique de massification de la formation, à la logique d’individualisation de masse de la formation.DEFIS Les défis à relever dans l’utilisation des NTIC par le système éducatif ne sont pas moins importants. Les principaux ont pour nom : · la production de contenus · la propriété intellectuelle des contenus · le coût de la formation à distance · la formation des enseignants à une utilisation maîtrisée des nouveaux outils. PROJETS NTIC EN HAÏTI Certains projets sont déjà actifs en Haïti, dans le sens d’une utilisation renforcée des NTIC :· Campus Numérique Francophone / AUF · INFOTEL / Group Croissance · MBDS / Faculté des Sciences-UEH · ESIH · IRENUCA / AUF-Faculté des Sciences-UEH · Académies CISCO / PNUD-Faculté des Sciences-UEH · RDDH / PNUD CONCLUSION Autant que les paradoxes présentés en première partie, les opportunités et défis relevés dans l’utilisation des NTIC par l’appareil éducatif ont montré le besoin d’arbitrage. Sur ce plan, et dans un pays comme Haïti, l’importance de l’Etat, plus précisément des autorités publiques, n’est plus à démontrer. La réduction des écarts signalés passe par un ensemble de dispositions dont les autorités de l’Etat peuvent être le grand catalyseur. Elles seules détiennent. – le potentiel de mobilisation des investissements directs nécessaires – la capacité de stimuler le secteur privé à travers des mécanismes d’incitation à l’investissement en technologie. – le potentiel pour forger une vision commune à partir d’intérêts et enjeux disparates et contradictoires, transcender les clivages et construire l’agenda du pays en matière d’investissement technologique. (13) Et si l’Etat se met aujourd’hui à signifier Engagement Total pour l’Accès de Tous, aux NTIC, alors Nou Sove !__________________ (1,2,3) Vers la mise en place d’un Conseil National de la S et T en Haïti, Document de référence Noël & Lumarque , 2001 (4) Globalisation & NTIC, quelle réponse du système éducatif ?, Noël & Attié, 1999 (5) Unesco, Rapport Mondial sur la communication, les médias face aux dés des nouvelles technologies, Paris 1997 in, Une Université Virtuelle Agronomique Francophone pour le 3ème millénaire, Gérard Ghersi, 1999 (6) Perspectives de la Science, de la Technologie et de l’Industrie, OCDE, Paris, 1996 in Une Université Virtuelle Agronomique Francophone pour le 3ème millénaire, Gérard GHERSI, 1999 (7,8) Des outils pour l’UVF, de l’élaboration à la mise en oeuvre su le terrain, G. Claës et A. Caristan, 1999.(9, 10, 11) Globalisation & NTIC, quelle réponse du système éducatif ?, Noël & Attié, 1999 (12) Universités Virtuelles, Universités plurielles, Didier Oillo, 2000 (13) Vers la mise en place d’un Conseil National de la S et T en Haïti, Document de référence, Noël et Lumarque, 2001.

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