Haiti : Allocution du Premier Ministre Haïtien Jean-Max Bellerive

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Madame le Secrétaire d’État des États Unis,Monsieur le Secrétaire Général des Nations Unies,Madame la Gouverneure Générale du CanadaMesdames et Messieurs les Ministres haïtiens et des pays amis,Monsieur le Représentant Spécial de la CARICOM,Monsieur le Gouverneur de la Banque Centrale Mesdames et Messieurs les Chefs de délégations,Monsieur le Président de la Banque mondiale,Monsieur le Président de la Banque interaméricaine de développement,Messieurs les Présidents du Sénat et de la Chambre des Députés,Mesdames, Messieurs les Représentants des Collectivités Territoriales,Mesdames et messieurs les représentants du secteur privé haïtien,Mesdames et messieurs les représentants des ONG,Distingués collègues du Gouvernement,Mesdames et messieurs,Chers amisUN PAS DE PLUS DANS LA LUTTE DU PEUPLE HAÏTIENNous nous retrouvons ici ce matin à l’invitation des États Unis d’Amérique et des Nations Unies pour faire un pas de plus dans la lutte du peuple haïtien pour se relever de ce terrible désastre qui a frappé le pays tout entier.Un pas de plus, puisque nous poursuivons la démarche solidaire entreprise avec nos partenaires de la communauté internationale en nous concertant à Santo Domingo sur l’immédiat, sur les moyens de faire face à l’horreur dans les jours et les semaines qui ont suivi le 12 janvier 2010.Puis, dès le 25 janvier, la Conférence de Montréal, à l’initiative du Canada, nous a permis de jeter les bases de ce dialogue politique et de cette coopération technique pour unir nos efforts dans l’identification du « quoi et du comment faire ». Nous y avons posé les principes devant guider notre action, affirmer le leadership haïtien et réitérer que notre action devait être régie par les principes de la Déclaration de Paris.C’est d’ailleurs au terme de cette conférence que la Secrétaire d’État, Madame Hillary Clinton a lancé l’invitation de nous réunir ici à New York pour prendre des engagements sur la reconstruction de notre pays, sur la refondation d’Haïti, comme le Chef de l’État, son Excellence René Préval, a eu l’occasion d’en exprimer toute la portée historique il y a quelques minutes.Enfin, avant cela, nous nous sommes rencontrés de nouveau à Santo Domingo pour avancer sur le cadre d’une plus grande coordination de nos efforts conjugués.Face à l’élan de solidarité sans précédent manifesté alors, le peuple haïtien avait compris, dès le lendemain du séisme, qu’il n’était pas seul.Nous confirmons maintenant que nos partenaires sont toujours là, qu’ils sont ici ce matin pour inscrire, dans la durée, ce pacte de responsabilité mutuelle pour remettre Haïti sur la voie du développement.LE PLAN D’ACTION POUR LE RELÈVEMENT ET LE DÉVELOPPEMENT D’HAÏTI : LE FRUIT D’UNE LARGE CONSULTATIONC’est pour moi un honneur de vous soumettre le Plan d’Action pour le Relèvement et le Développement d’Haïti. Ce plan est une proposition haïtienne, issue de larges consultations entre l’Exécutif, le Corps législatif, le secteur privé, les ONG, la diaspora et, évidemment avec vous, partenaires de la communauté internationale.Je prends un instant pour souligner l’apport de toutes ces consultations qui ont été menées à l’initiative d’institutions nationales et internationales, des efforts du secteur privé haïtien qui a soumis des propositions que le Président de la République a eu l’occasion de saluer lors d’un grand rassemblement la semaine dernière à Port-au-Prince. Que dire aussi des initiatives de la diaspora pour analyser la situation et formuler des recommandations.Il y a quelques jours, ici meme à New York, plus d’une centaine d’ ONG se sont réunis pour apporter leur contribution à cet effort collectif de réflexion et d’action. Elles sont des partenaires essentiels dans la reconstruction. Nous devons trouver ensemble les moyens de développer les synergies pour optimiser nos actions communes.Je dois aussi faire état du dialogue constructif que, nous de l’Éxécutif, avons eu avec les représentants du Corps Législatif au cours des derniers jours afin d’unir nos efforts, dans le strict respect de nos responsabilités constitutionnelles respectives, pour arriver à un consensus le plus large possible sur les moyens de terminer la phase de l’urgence, de lancer celle du relèvement et de projeter dans l’avenir la vision que nous avons du devenir de ce pays.Voilà pour la partie haïtienne, mais comme je l’ai dit plus tôt, nous n’étions pas seul. Ce Plan n’aurait pu être développé sans la contribution exceptionnelle de l’Équipe du Post Desaster Needs Assessment qui a travaillé durant des semaines pour nous aider à prendre toute la mesure de l’ampleur des pertes et dommages subis et suggérer des moyens de relever les défis multiples causés par le séisme.Bien sûr le Plan ne peut faire écho à toutes ces suggestions et recommandations puisque d’une part, ces initiatives sont très récentes, certaines ont eu lieu durant le week-end dernier, mais surtout parce qu’il est du devoir de l’État de prendre les décisions qui s’imposent et de faire les choix, souvent déchirants, entre les diverses options. Cela ne veut pas dire, bien entendu, que le processus consultatif est terminé. Bien au contraire, il nous faudra à chaque étape écouter pour mieux nous adapter et puiser les solutions dans les idées partagées avec les uns et les autres.Nous l’avions dit dès le début, c’est le pragmatisme qui nous guide dans ces choix qui n’ont d’autres buts que d’améliorer le sort de nos concitoyens et concitoyennes.Permettez-moi d’abord de faire une remarque liminaire. Ce plan définit les actions à prendre pour faire face aux conséquences du séisme. Il est une partie fondamentale de l’action gouvernementale, il n’est pas toute l’action gouvernementale. LES GRANDES COMPOSANTES DU PLAN DE RELÈVEMENT ET DE DÉVELOPPEMENT NATIONALDans ce plan, nous avons voulu faire trois choses :D’abord distinguer trois horizons, trois moments dans notre action.Ensuite, proposer un programme d’action portant sur la fin de l’urgence (pas de l’humanitaire) et sur la gestion du relèvement et,Enfin, Convenir avec nos partenaires des mécanismes de gestion des moyens à mettre en œuvre pour atteindre nos objectifs.DISTINGUER TROIS TEMPSL’immédiat Notre premier horizon porte essentiellement sur les six prochains mois. Nous voulons durant cette période apporter l’appui aux sinistrés et soutenir la capacité du Gouvernement à assurer ses fonctions, à assumer son leadership. Cette étape porte largement sur ce qu’il convenu d’appeler l’aide humanitaire urgente. Nous devons dépasser ce stade dans les prochains mois et assurer par les circuits normaux l’approvisionnement de la population et reprendre en charge, avec l’appui de nos partenaires, le logement des sinistrés et l’accueil des populations déplacées dans les différentes régions du pays.Comme nous devons agir dans l’immédiat, il faut assumer les manques à gagner causés par le séisme et fournir au Gouvernement, les ressources nécessaires pour combler le déficit budgétaire creusé par les diminutions draconiennes des recettes fiscales. Le pays doit retrouver la normalité de sa vie économique et il nous faut appuyer le redressement du système financier durement touchéIl faut aussi lui donner la capacité de rouvrir les écoles, de rétablir le système de santé et de lancer des initiatives pour créer des emplois, il y va de la légitimité de l’État.Finalement il nous faudra améliorer la prévention et la gestion des risques et des désastres. Notre pays est situé dans une zone vulnérable aux cyclones et ouragans. La vulnérabilité au séisme vient encore assombrir le tableau. Nous devons protéger notre population et notre environnement. Il nous faut être prêt pour la prochaine saison cycloniqueLes dix-huit prochains moisLes dix-huit prochains mois permettront de mettre en œuvre le programme pour la gestion du relèvement du pays.Le Plan est formulé dans notre document sous les thèmes des quatre refondations essentielles, celle du territoire, celle de l’économie, celle de nos services sociaux, incluant les investissements dans notre culture et la refondation de nos institutionsNous indiquons pour chacune d’entre elle les priorités et les domaines d’interventions ainsi que l’estimé des coûts afférents pour chaque « chantier ». Au plan territorial, notre objectif est sans équivoque. Il faut arriver à redéployer la population sur l’ensemble du territoire. Nous allons bien sûr reconstruire les zones dévastées, mais nous accorderons une importance à la création de pôles régionaux forts, dotés des infrastructures capables d’appuyer le développement économique, organisés à partir d’un plan d’aménagement du territoire. Ces pôles gravitent autour de villes importantes du pays, mais englobent une dynamique régionale qui va bien au-delà des zones urbanisées. Il nous faudra compléter le maillage routier pour relier ces zones à fort potentiel entre elles, ouvrir les voies commerciales, créer les incitatifs pour une qualité de vie moderne dans les régions.REFONDATION ÉCONOMIQUEPour la refondation de notre économie, nous misons sur la relance de la production nationale avec un accent important sur l’agriculture. Il nous faut accroître la part de la production nationale dans les habitudes alimentaires des Haïtiens et Haïtiennes.En plus, et étroitement reliés à la création des pôles économiques, le développement des industries de transformation et des filières du textile devrait nous permettre de fournir des emplois de qualité, seule garantie durable de la population dans une région.Le secteur privé doit , bien entendu, pouvoir jouer sa partition. Encore faut-il créer les conditions favorables à son expansion et à sa rentabilité. Pour cela, nous allons renforcer les institutions financières, faciliter le crédit et nous doter de lois et de règlements favorables au développement des affaires.Tout ce développement projeté ne sera possible que si l’Électricité est disponible en quantité et en qualité suffisante, ce qui implique une capacité accrue de production, l’interconnexion de nos réseaux de transport et de distribution d’électricité. Nous avons avancé sur la question des barèmes. Nous continuerons d’améliorer la gestion technique et commerciale de l’énergie.REFONDATION SOCIALEAu plan social, il nous faut aborder des champs nouveaux d’intervention. Nous voulons faire de la culture un des moteurs de cette refondation en investissant dans la créativité de nos concitoyens, en renforçant la cohésion sociale par le partage d’une culture qui sait se renouveler sans oublier ses racines profondes.On ne peut prétendre progresser sur le plan social sans offrir à nos concitoyens l’accès à un logement décent, à une éducation fondamentale, à la formation technique et à l’enseignement supérieur sur l’ensemble du territoire.L’investissement dans notre capital humain, notre plus grande richesse par sa jeunesse, sa créativité n’aurait de sens sans une déserte complète des soins de santé sur l’ensemble du territoire et sans la présence de services spécialisés dans tous les chefs lieux de département.Pour le mettre en valeur, il faut créer massivement des emplois. Dans les mois qui viennent, l’accent sera mis sur des emplois à haute intensité de main d’œuvre, notamment par les travaux dans les infrastructures agricoles, l’aménagement des bassin versant et les emplois créés par le déblaiement des débris dans les zones dévastées. Il nous faudra trouver les moyens d’assortir ces emplois à de la formation vocationnelle et technique pertinente pour transformer cette corvée nationale en une entreprise de développement des compétences.Finalement, il n’est pas de santé publique sans une politique d’accès à l’eau potable, d’assainissement et de traitement des déchets solides dans les principales concentrations urbaines du pays.La REFONDATION INSTITUTIONNELLELa refondation institutionnelle porte d’abord sur nos institutions démocratiques. Elles doivent mieux fonctionner. L’unité d’action, la solidarité nécessaires en ces temps de crise doivent nous inciter à redoubler d’efforts pour harmoniser nos relations, faire prévaloir le bien commun et apprendre à travailler différemment.Les échéances constitutionnelles qui sont à nos portes demandent que l’on mette en place les mécanismes requis pour favoriser la mise en place de conditions humaines et matérielles décentes de travail des parlementaires. La présence de partis politiques disposant des moyens indispensables à leur fonctionnement doit aussi figurer dans notre tableau des priorités.Le redémarrage des institutions étatiques, la normalisation des effectifs de la police nationale dans les perspective d’avant séisme et la dotation adéquate en équipements est un impératif au fonctionnement approprié d’un État de droit qui assure les libertés individuelles et collectives ainsi que les droits de la personne sur l’ensemble du territoire national.Finalement nous devons établir une culture de transparence et de reddition de comptes qui rende la corruption impraticable sur le territoire. La démarche a déjà été bien engagée au cours des dernières années. Il nous faut aller plus vite et plus loin et nous sommes résolus à prendre les moyens nécessaires avec le concours de nos partenaires pour y arriver.Voilà un programme certes ambitieux pour les dix-huit prochains mois. Mais nous avons une obligation de résultat. Il faut créer le momentum nécessaire pour faire une différence, créer une masse critique qui donne espoir aux Haïtiens et aux Haïtiennes dans leur avenir. J’ai toutes les raisons d’être fier d’être haïtien face au courage, au calme avec lequel mes concitoyens et concitoyennes font face au défi hors du commun que l’histoire, la géographie et la politique ont dressé devant eux. Nous leur devons de créer les conditions de l’espoir dans l’avenir.L’AVENIR AU DELÀ DES 18 MOISNous avons partagé notre vision sur le devenir d’Haïti dans la durée. Nous avons énoncé ce rêve Celui de voir Haïti comme un pays émergeant d’ici 2030, société de la simplicité, équitable, juste et solidaire, vivant en harmonie avec son environnement, sa culture et une modernité maîtrisée où l’État de droit, la liberté d’association et d’expression et l’aménagement du territoire sont établis, dotée d’une économie moderne, forte, dynamique, compétitive, ouverte et à large base territoriale, où l’ensemble des besoins de base de la population sont satisfaits et géré par un État unitaire, fort, garant de l’intérêt général, fortement déconcentré et décentralisé.Il continue de nous inspirer. Pour le concrétiser, il faudra utiliser ces dix-huit mois qui sont devant nous pour planifier les programmes et les actions déterminantes capables de concrétiser ces progrès nécessaires.À Santo Domingo, nous avons évoqué le chiffre de 34 milliards de dollars sur dix ans. C’est un ordre de grandeur qui préfigure l’ampleur des investissements qui seront requis, tant par l’aide publique au développement que par les investissements privés, nationaux et étrangers.Mais, je vous le rappelle le Plan présenté aujourd’hui porte sur les 18 prochains mois.LES MÉCANISMES DE GESTION DU PLANNous avons beaucoup discuté au cours des dernières semaines sur les mécanismes de gestion, nommément la création d’une Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti et la mise en place d’un Fonds Fiduciaire Multi-Donateurs.Nous avons progressé et nous nous sommes entendus pour prendre des actions.Le Chef de l’État a mentionné les actions prises pour formaliser le cadre légal. Le dépôt d’un projet de loi est fait à l’Assemblée Nationale, des projets d’Arrêté circulent. Du côté de l’international, le Président Clinton a accepté l’invitation du Président Préval de co-présider le Conseil de la CIRH. On s’entend sur la composition du Conseil. Il reste des aspects organisationnel à régler, mais nous sommes sur la bonne voie.Di côté du Fonds Fiduciaire, la Banque mondiale a été désigné comme agent fiscal pour le fonds. Une entente est intervenue entre la Banque mondiale, les Nations Unies et la BID sur le partage des rôles et responsabilités.Il reste à harmoniser les mandats respectifs de ces deux entités. Je vous propose pour ce faire que nous nous donnions un échéancier rapproché pour arriver à une entente dans les meilleurs délais. Il faut agir et arriver à un compromis acceptable pour les uns et pour les autres.Ces instruments devraient nous permettre d’arriver à une nouvelle dynamique de coopération. Les expériences que nous avons étudiées (Aceh, Afghanistan, Irak) se sont toutes avérées déficiences à un égard ou à un autre.Nous devons faire mieux.ATTENTES QUANT AUX ENGAGEMENTSPour y arriver, les ressources doivent être disponibles. C’est pourquoi nous demandons dans notre plan un appui budgétaire conséquent de 350 millions de dollars pour les six prochains mois de manière à faire face à nos responsabilités.Nous vous demandons dans ce plan de réunir vos ressources dans le Fonds Fiduciaire de manière à arriver à une forme de coordination réelle qui permette la mise en œuvre d’un véritable programme d’investissements publics.Nous demandons des ressources qui avoisinent les 4 milliards de dollars sur les dix-huit prochains mois pour arriver à cette masse critique tellement nécessaire pour créer ce momentum, faire cette différence que nous avons évoquée.Il nous faut innover. Les conditions favorables sont là et nous devons réussir. Haïti est un pays qui doit se relever. D’autant que je puisse en juger par votre présence ce matin la volonté politique d’agir et de nous accompagner dans la durée est manifeste.La taille du pays permet de concrétiser le « Saut qualitatif » nécessaire. Nous devons aplanir nos différents, surmonter nos difficultés, instaurer le climat de confiance, de transparence et de probité.Cela est possible.Vous avez décidé d’écouter et d’accompagner Haiti. Le gouvernement et le peuple d’Haïti est maintenant à votre écouteMerci de votre attention

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