Plus de vingt morts en cinq jours. Comme pour démontrer aux trente-quatre représentants de l’Organisation des Etats américains (OEA) réunis hier en Floride, que le retour au calme est chose impossible en Haïti, l’île a été, la semaine dernière, le théâtre d’une explosion de violence, en dépit de la présence de casques bleus de l’ONU. Mardi, l’incendie d’un marché de Port-au-Prince par des inconnus armés a fait cinq morts. Un peu plus tard, l’attaque d’un commissariat en a provoqué deux autres. Le même jour, Paul-Henri Mourral, le consul honoraire français au Cap-Haïtien, dans le nord du pays, succombait à ses blessures : sa voiture avait été criblée de balles sur la route de la capitale. Vendredi, huit civils ont été enlevés, avant d’être remis en liberté en échange de rançon. Enfin, le week-end dernier, une opération de police dans le quartier de Bel-Air, a fait, selon les témoignages, entre quatre et dix-huit morts. Quinze mois après la destitution de Jean-Bertrand Aristide, et un an tout juste après le déploiement de six mille militaires et de mille quatre cents policiers dans le cadre d’une Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah), le pays le plus pauvre d’Amérique latine semble condamné au chaos. L’organisation des élections générales prévues en fin d’année pourrait être compromise, alors que les partisans d’Aristide ont promis de mettre le pays à feu et à sang tant que les casques bleus, sous commandement brésilien, « occuperont » le pays. La Minustah a d’autant plus de mal à s’imposer qu’elle ne bénéficie pas du soutien de tous les membres du Conseil de sécurité. Alors que le secrétaire général de l’ONU Kofi Annan a, la semaine dernière, demandé le renouvellement de la mission pour un an, et l’envoi de forces supplémentaires, la Chine s’y oppose. Dimanche, un éditorial du quotidien américain Washington Post a qualifié l’action de la Minustah d’« échec », révélant que l’ambassade américaine à Port-au-Prince avait demandé au gouvernement de George Bush d’étudier l’envoi de quelques centaines de marines supplémentaires pour faire face à l’insécurité. Une véritable claque pour l’administration brésilienne, qui, en acceptant le commandement de la mission, espérait démontrer au monde la pertinence de sa revendication d’un siège permanent au Conseil de sécurité. « Ces critiques ne sont pas fondées », s’est insurgé le ministre des Affaires étrangères brésilien, Celso Amorim, pour lequel les troupes sont confrontées « à des questions de pauvreté, de criminalité, et de politique, une combinaison explosive ». Le ministre s’est néanmoins montré ouvert à l’envoi de soldats américains, « tant que le mandat de l’ONU est respecté. Mais les Américains sont-ils vraiment prêts à y aller ? » a-t-il questionné, ironique, dans une interview à la BBC. Les difficultés de la Minustah sont indiscutables. Majoritairement composée de casques bleus originaires d’Amérique latine, elle peine à communiquer dans un pays francophone. Elle souffre aussi de la faiblesse de ses effectifs. « Nous avons réussi à rétablir le calme dans l’intérieur du pays, le problème, c’est la capitale », a expliqué ce week-end son commandant en chef, le général brésilien Augusto Heleno Ribeiro dans une interview à la BBC. « Port-au-Prince a 2,5 millions d’habitants, soit autant que Brasilia, mais nous ne disposons que de 1 500 policiers ici, contre 20 000 dans la capitale brésilienne », pointe-t-il. L’officier estime toutefois que le véritable problème est l’absence d’investissements, en dépit des promesses de dons de la communauté internationale pour près d’un milliard de dollars. Citant l’absence d’eau dans la Cité du Soleil, un des quartiers les plus pauvres de la capitale, Ribeiro souligne que seule la mise en place d’infrastructures de base permettra à la population d’espérer se développer et d’en finir avec la criminalité. Alors que les murs de la capitale se couvrent de graffitis « Heleno = insécurité », le général dit refuser de céder aux appels à la répression auxquels sont soumises ses troupes. « Ce sont des militaires, ils ne sont pas préparés aux actions dans des bidonvilles. Je ne veux pas avoir à assumer de tuer des femmes et des enfants sous prétexte d’attraper un bandit », martèle-t-il. Tant que la communauté internationale n’aura pas entrepris de véritablement reconstruire le pays, les efforts pour rétablir la sécurité seront vains. « On pourrait installer quarante mille militaires à Haïti, en faire un état policier, voire un gigantesque camp de concentration, cela ne changera rien au futur de ce pays, et ne redonnera pas le moindre crédit à la démocratie. Cela fait dix ans qu’Haïti fait marche arrière », conclut-il. Source: Le Figaro
L’ONU impuissante à Port-au-Prince, Washington se pose en recours
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