Les autorités dominicaines ont rapatrié ces trois derniers jours près de 300 mille ressortissants haïtiens, l’une des plus grandes opérations de rapatriement effectuées depuis des décennies, rapporte la presse dominicaine. Selon des militants dominicains des droits humains, le jeudi 12 mai 2005, 3 haïtiens avaient été tués par balle par des dominicains dans la zone de Santiago. Les personnes refoulées sont confrontés à énormément de difficultés notamment à Ouanaminthe où les responsables des structures d’accueil sont largement dépassés par les événements. Les organisations se mobilisent face à cette situation . Dans un communiqué, Solidarite Fwontalye (Solidarité Frontalière) et le Service Jésuite aux Réfugiés et Migrants (SJRM) affirme que “ du vendredi 13 mai au dimanche 15 mai, l’Etat dominicain a expulsé plus de 2000 haïtiens, dominicains d’origine haïtienne et autres dominicains de couleur noire à Ouanaminthe – dont la majorité sont des femmes et des enfants-, causant ainsi une crise humanitaire”. Le texte poursuit que “ De ces 2000 rapatriés Solidarite Fwontalye/SJRM a reçu environ mille en les accueillant sur le poste frontière de Ouanaminthe, du côté haïtien de la frontière Nord haïtiano- dominicaine, pour les conduire à l’Auditorium de la Paroisse de Ouanaminthe qui a servi comme Centre d’hébergement où Solidarite Fwontalye/SJRM, en coordination avec d’autres organismes et volontaires, leur a donné une assistance humanitaire d’urgence en termes d’alimentation, d’eau, de soins sanitaires, d’hébergement et, surtout, un accompagnement humain”. “De ces rapatriés que nous avons reçus, nous avons enregistré des cas très graves. Pour les deux premiers jours (13 et 14 mai), nous pouvons faire mention de ces cas de gens expulsés : 12 dominicains dotés de leur « cédula » (qui sont des cartes d’identité doublées de cartes électorales) et 29 mineurs munis de leur acte de naissance ; ces deux documents qui prouvent leur citoyenneté dominicaine ont été ou déchirés par les militaires dominicains ou ignorés par eux. 39 parents qui n’ont pas eu le temps de récupérer leurs enfants et qui se trouvent en Haïti en étant obligés de les laisser en territoire dominicain sans savoir maintenant rien d’eux. Par exemple, Nadège Étienne dit avoir laissé 6 enfants -dont l’aîné a 9 ans- chez elle à Batey Libertad ; les militaires l’interceptaient alors qu’elle se rendait à son lieu de travail. 4 Haïtiens avec leurs passeports et visas – non expirés- et d’autres avec leur « carné » (un document qui leur permet de rester et de travailler en République Dominicaine pour un temps bien déterminé). 28 mineurs dominicains de couleur noire, qui allaient à l’école ou qui se trouvaient tout près de chez eux. Selon le témoignage de José Miguel Durán de 23 ans, lui et ses deux petits frères de 13 et de 14 ans sont nés et ont grandi à Boca de Mao en République dominicaine ; les trois ont été rapatriés alors qu’ils allaient à l’école.12 personnes dans la soixantaine qui ont vécu plus de 30 ans en République dominicaine, y ont élevé leurs enfants et ont perdu tout contact avec Haïti. Israël Prévil a vécu pendant 39 ans en République Dominicaine et s’est totalement déconnecté d’Haïti ; maintenant, il ne sait où il pourrait rencontrer un de ses proches parents. 2 femmes qui sont enceintes de 9 mois et 4 autres femmes entre 6 et 8 mois de grossesse, et toutes sont arrivées dans un état de santé très délicat à cause des conditions dans lesquelles elles ont été forcées de voyager. Il y a lieu de faire mention de ce cas spécial : une femme qui, au troisième jour de son accouchement, a été déportée avec son bébé. La note continue: “Les rapatriés sont mis dans des autobus et des camions où ils voyagent pendant plus de trois heures, entassés comme des animaux. Par exemple, le 14 mai, 50 rapatriés étaient obligés de rester à la base militaire de Dajabón appelée « Fortaleza Beller » où les militaires ne leur offraient rien à manger. “La majorité des rapatriés arrive à Ouanaminthe dans la détresse : sales, en guenille, affamés, assoiffés, humiliés…” “Cette expulsion massive d’haïtiens et de dominicains a surpris tout le monde et a dépassé notre capacité et celle d’autres organisations pour accueillir les expulsés à Ouanaminthe, une ville qui ne dispose déjà d’aucune infrastructure ni services de base (eau, électricité, carences d’aliments et services médicaux précaires). Pour ce, nous avons improvisé des centres d’hébergement dans la Paroisse, chez les Sœurs « de Saint Jean Évangéliste » et au Bureau de Solidarite Fwontalye/SJRM”. “Cette situation très délicate et sans précédents a eu des conséquences très alarmantes auxquelles on pouvait s’attendre : Beaucoup de trafiquants de migrants viennent là où nous recevons des expulsés pour tenter de les convaincre qu’ils les feront « passer » en République dominicaine à condition de recevoir de chaque migrant la somme de 2000 gourdes. Avec le concours des personnes de Ouanaminthe, nous sommes en train d’identifier ces trafiquants, quoique nous estimions que plusieurs de ces migrants sont arrivés à être victimes en étant expulsés une fois de plus ou bien en s’exposant aux représailles des autorités et de la population dominicaine frontalière qui ne les acceptent pas chez eux. Voici les noms de quelques trafiquants que les victimes nous ont communiqués : Orlando, Vecino, Ti pa, Renaud. Un nombre considérable d’haïtiens qui ont vécu dans des communautés dominicaines situées à la frontière Nord sont en train de retourner volontairement en Haïti et sont victimes de la part des voleurs, des militaires dominicains, des citoyens dominicains qui leur lancent des pierres, leur volent tout et les maltraitent”. “Le premier jour de cette déportation massive, vendredi 13 mai, 53 expulsés qui ont été munis de leurs documents légaux (passeport et visa, cédula, acte de naissance) ont pu retourner en République Dominicaine”. “Le troisième jour, dimanche 15 mai, face à la pression constante du Service Jésuite aux Réfugiés et Migrants, 7 parents de ceux qui ont laissé leurs enfants en République Dominicaine ont pu entrer en territoire dominicain pour aller chercher leurs enfants. Ces parents ont été conduits dans un camion de l’Armée Dominicaine”. “Cependant, nonobstant cette possibilité que les autorités militaires et migratoires dominicaines ont offertes à ces parents et aux rapatriés légalement documentés, elles sont de jour en jour moins ouvertes à écouter et à résoudre les cas des dominicains, des haïtiens en règle avec la migration dominicaine et des parents qui ont besoin de retrouver leurs enfants”. Solidarite Fwontalye/SJRM lance un appel à l’État dominicain, en particulier aux autorités migratoires, pour qu’il : Réalise les opérations de déportation (et non pas d’expulsion) dans un cadre légal et, en particulier, en accord avec le Protocole d’entente sur les mécanismes de déportation, signé par les deux gouvernements le 2 décembre 1999, qui assure le respect et la protection des droits humains des déportés. Cesse d’expulser dans ces conditions inhumaines et discriminatoires qui font des victimes tant du côté dominicain que du côté haïtien. Pense aux conséquences néfastes que ces expulsions illégales sont en train d’avoir sur les relations entre Haïti et la République Dominicaine dans toutes ses dimensions et à tous les niveaux. De la même façon, Solidarite Fwontalye/SJRM s’indigne de ce que les autorités haïtiennes se montrent si peu concernées par cette crise humanitaire à la frontière Nord haïtiano- dominicaine. En effet, nous demandons à l’État haïtien : D’être présent sur la frontière pour répondre d’une façon efficace et immédiate à ces situations critiques, comme celle que nous vivons actuellement. D’assumer son rôle d’interlocuteur pour négocier avec l’État dominicain et leur rappeler leurs engagements, concrètement, ceux qui ont à avoir avec les mécanismes de rapatriement, tels qu’ils sont prescrits dans le Protocole de décembre 1999. De respecter lui-même les engagements qu’ils avaient pris dans ce Protocole, par exemple, d’établir des postes de contrôle migratoire dans les 4 points frontaliers définis dans ce même Protocole (Ouanaminthe- Dajabón, Belladère- Elías Piña, Malpasse- Jimaní et Anse-à-Pitre – Pedernales) afin de recevoir les rapatriés et de contrôler le flux migratoire des migrants haïtiens irréguliers. Le communiqué signé par Padre José Núñez, SJRM et Padre Regino Martínez, Solidarite Fwontalyè place les gouvernements de deux pays face à leurs responsabilités. “Nous déclarons coupables les deux États pour tous les cas de violations des droits humains des expulsés haïtiens et dominicains qui sont en train d’avoir lieu à la frontière Nord haïtiano -dominicaine. Nous leur exigeons à chacun d’eux de respecter, avant tout, la Constitution de leur pays, les Accords binationaux et les Traités Internationaux concernant le respect et la protection des droits de l’Homme que les deux ont signés”. “ Nous prions les haïtiens de prendre conscience du danger qu’ils courent en voulant émigrer sans papiers légaux en République Dominicaine. En outre, nous demandons à tous les haïtiens en général d’être sensibles et solidaires avec les compatriotes qui sont en train d’être victimes de ces violations flagrantes de leurs droits fondamentaux”.
Rapatriement massif d’Haïtiens de la République Dominicaine: les militants des droits de l’homme inquiets
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