
Depuis plusieurs semaines, la Banque de la République d’Haïti est revenue sur le banc des accusés. Dans les medias ou sur les réseaux sociaux, certains reprochent à la BRH d’avoir créé un déséquilibre sur le marché des changes à travers la circulaire 114.2 qui exige que les maisons paient les transferts en gourdes et au taux de référence de la Banque Centrale.
Pour démontrer la faiblesse de cette mesure, l’économiste Fritz Jean par exemple est allé jusqu’à comptabiliser la perte sèche des bénéficiaires de transfert par mois qu’il évalue à 4 milliards de gourdes à cause des 15 gourdes de différence qu’il affirme relever entre le taux de référence et les taux réels appliqués sur le marché.
Cependant, la BRH n’entend pas capituler. Si le gouverneur reconnait que la circulaire en question impacte négativement certains agents économiques, il estime toutefois que si ces dispositions n’avaient pas été adoptées, le dollar seraient vendu à 250 gourdes aujourd’hui. Jean Baden Dubois n’écarte pas la possibilité d’ajuster la circulaire, cependant il pense que si les autres acteurs, tels que le ministère du commerce ne jouent pas leur partition, les efforts de la BRH ne seront jamais appréciés à leurs juste valeur.
En effet, selon le gouverneur, l’affichage des prix des produits en gourdes pourrait solutionner le problème. Si les transactions ne se font plus en dollar, personne n’aura besoin d’acheter des devises après avoir reçu un transfert en gourde, c’est la lecture de Jean Baden Dubois.
A entendre le numéro 1 du conseil d’administration de la BRH, la gestion du marché des changes est une patate chaude entre les mains de l’institution qui ne contrôle pas tous les paramètres qui font déraper le taux. Quand le gouvernement dépense au-delà de ses capacités et engendre un déficit qui est financé par la Banque Centrale à hauteur de 35 milliards de gourdes sur les 6 premiers mois de l’exercice, il y a une responsabilité partagée semble dire le gouverneur ; quand les billets verts se font rares à cause de la spéculation négative ou le phénomène de thésaurisation, les marges de manœuvre de la BRH sont limitées affirme-t-il. Un autre facteur dénoncé par Jean Baden Dubois c’est la place de l’importation dans l’économie haïtienne. Le dollar qui entre en Haïti ne reste pas dans le système car il est renvoyé à l’étranger pour payer les études et importer des produits déplore l’économiste.
La gourde a déjà perdu 18 point depuis Octobre 2020. Pour éviter que le taux ne dérape, la BRH, entre autres actions, tente de rendre le dollar disponible et déjà plus de 650 millions ont été injectés sur les 6 premiers mois de l’année fiscale. Si le montant sonne fort, il est plus préoccupant lorsqu’on sait que la moitié a été utilisée pour permettre au gouvernement de pouvoir payer les commandes de carburant. D’octobre à Mars, l’état a dépensé beaucoup plus d’argent pour les produits pétroliers que sur l’ensemble de l’exercice fiscal écoulé, parole du gouverneur. Si aujourd’hui les réserves nettes de changes sont estimées à 500 millions de dollars c’est parce qu’il a fallu mobiliser 257 millions pour les produits pétroliers.
Malgré tout, le gouverneur Jean Baden Dubois se veut rassurant, la BRH dispose encore de munitions. Toutefois, si la production n’est pas renforcée, si l’importation n’est pas mieux contrôlée les impacts de ses efforts seront mitigés regrette celui qui s’est ouvert à la presse jeudi.La banque de la République d’Haïti est au milieu d’une tempête, elle semble perdre la bataille de l’opinion. Alors la BRH a-t-elle réellement créé un désordre sur le marché dont les consommateurs en paient le prix fort actuellement ? Est-ce que la banque des banques est elle-même en train de payer les conséquences de la mauvaise gestion des finances publiques par l’état central ? En tout cas, au-delà du problème de change, la plus grande préoccupation est de savoir si pris dans l’engrenage du quotidien la BRH trouve assez de temps pour agir sur ces missions structurelles.
Luckner GARRAUD
journaliste/Radio Télé Metropole