« L’État n’a plus un sou », a avoué ce vendredi le chef de l’État, en marge d’une tournée dans le sud du pays. Aussitôt relayée par la presse nationale et reprise en boucle sur la Toile, cette déclaration a laissé perplexe plus d’un. Des caisses vides Pour parler franc, et sans vouloir banaliser le cas d’Haïti, qui reste quand même assez particulier, le président Martelly n’aura pas été le seul chef d’Etat à en parler ainsi, sans trop de pudeur. « Je suis à la tête d’un État qui est en situation de faillite sur le plan financier « , avait dit un jour le Premier ministre français François Fillon. Cette déclaration avait été, selon des témoins, jugée intempestive et pourtant reprise en cœur début 2008 par Eric Woerth, son ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique : « Les caisses de l’Etat sont plus que vides » Alors, sans doute pour ne pas être en reste, ou peut-être irrité par ce concert de lamentations, le président Nicolas Sarkozy avait rétorqué : « Qu’est-ce que vous attendez de moi ? Que je vide des caisses qui sont déjà vides ? » Irresponsabilité ? L’économiste Camille Chalmers a qualifié cette déclaration de Michel Martelly de « totalement irresponsable dans une conjoncture où la situation économique du pays préoccupe les différents secteurs de la société ». « Ces propos du président haïtien annoncent une situation chaotique laissant croire que le gouvernement ne pourra pas honorer ses engagements », avait réagi le Directeur exécutif de la Plateforme haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA). Une préoccupation qui résume l’état d’esprit de tous ceux et celles qui ont cherché à comprendre où le président Martelly voulait bien en venir. Un aveu bien vite rectifié devant le tollé qu’il a soulevé à travers le pays. Réaction du président : « J’ai dit que les caisses n’ont pas beaucoup d’argent, je n’ai pas dit qu’elles sont vides et voilà que certaines personnes font de la politique avec cette déclaration ». Le président Michel Martelly dit avoir justifié cette situation par le financement d’un très grand nombre de projets de développement mis en œuvre au bénéfice de la population. Quoiqu’il en soit, sa déclaration, même rectifiée, conserve tout son sens, toute sa charge sociale et toute sa portée économique. Le jour où le président Michel Martelly annonça la vacuité des caisses du Trésor public, n’est certainement pas le jour où le constat a été fait. Ce qu’il faudra surtout retenir d’une telle déclaration : Le momentum : le président était accompagné du général John Kelly dans le cadre d’une tournée dans le sud du pays. La façon de le dire : avec une grande désinvolture, et on aurait juré qu’il se plaignait d’un petit bruit entendu dans le moteur de sa 4X4. La justification : Beaucoup de projets financés mais pas assez de recettes pour approvisionner le Trésor public. L’alternative proposée : il invite le peuple à « se garder d’adopter une attitude d’attentiste » et de se remettre à cultiver la terre. Le chef de l’Etat a la particularité de savoir dire des choses graves avec une certaine désinvolture. En fait, – n’en déplaise au chef de l’État – en Haïti, l’agriculture demeure une activité économique et sociale essentielle; elle occupe plus de 60 % de la population active et assure 35 % du PNB. Une majorité d’Haïtiens vivent de la petite agriculture vivrière (maïs, sorgho, haricots, tubercules) qui se pratique dans le cadre de petites exploitations dont les rendements sont très faibles à cause de l’intense érosion des sols. « Un tiers des terres est cultivé, mais chaque année l’érosion ôte toute fertilité à environ 1 % des terres cultivables. Le défrichement de nouvelles terres provoque le recul rapide de la forêt, qui ne couvre plus que moins de 3 % de la superficie du pays. Voila qui reste très préoccupant pour la majorité de la population, même en 2014. Bénédique Paul, Alix Dameus et Michel Garrabe sont les auteurs d’une étude faisant état d’un « processus [en cours] de tertiarisation de l’économie haïtienne. « Dans les années 1800, l’agriculture représentait près de 95% du Produit Intérieur Brut (PIB) d’Haïti. En 2009, le secteur primaire entier ne représentait plus que 23% du PIB. Ce déclin s’est fait au profit du développement du secteur tertiaire, lui-même dominé par des petits commerces ». Se rabattre sur de nouvelles charges fiscales Une hypothèse suit son cours qui pourrait bien expliquer la sérénité affichée par le chef de l’État dans ce brûlant dossier des caisses vides. Et qui pourrait aussi expliquer le retour de Marie-Carmelle Jean-Marie, au Ministère des Finances. Au niveau macroeconomique, ça pourrait être pire. D’ailleurs le FMI s’est récemment félicité du maintien de la stabilité macroéconomique ..De cela le président est conscient et s’en rejouit. .. mais le FMI a par ailleurs déploré l’élargissement du déficit fiscal global …De cela le président est peu conscient .. mais suffisamment en tout cas pour se résoudre à accepter le retour de Marie Carmelle Jean-Marie.Fut-ce à contrecœur ? Il s’agit de l’état de la situation financière de la République. Une situation assez bien présentée dans une note récente de conjoncture de la Banque centrale. « Au deuxième trimestre de l’exercice 2014 – peut-on y lire – la situation du secteur externe de l’économie haïtienne s’est dégradée par rapport à la même période de l’exercice précédent. En effet, le déficit commercial s’est accentué, ce qui a contribué à une dépréciation de la gourde par rapport au dollar américain ». « D’octobre 2013 à décembre 2013, le déficit commercial s’est porté à 757,2 millions de dollars ÉU, soit une hausse de 1,36 % par rapport à la même période de l’exercice antérieur. Cette évolution s’explique par la baisse des exportations et la stagnation des importations. En effet, les exportations de biens et services pour le premier trimestre de cet exercice « . « En dépit de la forte croissance de 13,40% des transferts sans contreparties au cours des cinq premiers mois de l’exercice, la tension sur le marché des changes s’est accentuée au début du second trimestre. Ainsi, au 18 mars 2014, le taux de change de fin de période s’est établi à 44,53 gourdes pour un dollar ÉU, accusant ainsi une hausse de 1,48 % par rapport au 31 décembre 2013 et de 1,76 % par rapport au début de l’exercice 2014″. »Ces fluctuations enregistrées sur le marché des changes ont porté les autorités monétaires à intervenir afin d’augmenter l’offre de devises dans le but de lisser les fluctuations du taux de change. Elles ont procédé à des ventes nettes totalisant 16.5 millions de dollars ÉU au cours des mois de janvier et février 2014. Conséquemment, les réserves nettes de change sont passées de 1,12 milliard de dollars ÉU en décembre 2013 à 992,85 millions de dollars ÉU au 12 ars 2014, soit une baisse de 11,26 % ». Voila ce qui, de l’avis des observateurs, devrait davantage préoccuper l’Exécutif. Quelqu’un doit y mettre de l’ordre, mais soulignent les observateurs, « au bon endroit ».Et comme l’Exécutif tient beaucoup à SES dépenses sociales – qui pourraient être mieux ciblées – il choisira plutôt d’élargir l’assiette fiscale. Au point de risquer de réduire l’impact des programmes sociaux comme Ede Pèp ?! Ou de risquer d’irriter les nantis en les taxant dans leur luxe, tout en réduisant raisonnablement le train de vie de l’Exécutif et de son clan ? Les zones d’ombre contreproductives, ça se trouve .. si l’on prend le temps de bien chercher .. Le calcul est simple : augmenter les recettes pour renflouer les caisses de l’État, mais sans augmenter les charges des plus vulnérables. Mais ça fait longtemps qu’on se prend à rêver, sans résultats probants, de comportements que les décideurs ne peuvent et ne veulent manifestement pas avoir.La conclusion à dégager de tout cela : il se profilerait plutôt une sorte de « tour de vis social », comme on dit, qui prendrait la forme de nouvelles impositions, mais pas toujours localisées au bon endroit. On en voudrait pour preuve le dernier projet de loi de finance de Wilson Laleau, le fameux budget aux 50 mesures fiscales. Vers une politique des caisses vides Il s’agit d’une part de l’adoption progressive d’une nouvelle ligne de conduite en matière de finances publiques, consistant à limiter les recettes fiscales de façon à creuser les déficits étatiques. L’objectif étant d’établir ainsi « un climat politique et idéologique favorable à la diminution des dépenses, avant tout sociales, des collectivités publiques et au déplacement de la charge fiscale au bénéfice des détenteurs de capitaux ». S’y achemine-t-on ? La ministre Jean-Marie serait-elle la pilote la plus fiable pour nous y mener sans « dommages collatéraux » ? Comment entretemps augmenter les capacités du gouvernement à répondre à ses obligations ? Il y a d’abord les engagements du gouvernement en termes d’investissement, du paiement du service de la dette et du salaire des 65,000 fonctionnaires publics. Toute cessation complète de paiements devrait donc inquiéter aussi bien les ronds-de-cuir que les fournisseurs de l’État. Les coupes sombres dans les budgets des ministères et organismes déconcentrées seraient parmi les premières mesures d’austérité que prendra la ministre de l’Économie et des Finances.Qui dit coupes sombres dit désengagement de l’État au niveau des investissements publics. Tout ça, sans compter le fait que la planche à billets, parait-il, a beaucoup fonctionné et de façon inconsidérée ces derniers temps. Ce n’est pas un moindre mal.Le diable est dans les détails. HA/radio Métropole Haiti
Analyse| Finances publiques : le diable est dans les détails
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