Au Conseil de sécurité, des appels pressants se font entendre pour une action urgente en Haïti

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Trois hauts responsables de l’ONU et l’ensemble des délégations à avoir pris la parole ont exhorté, cet après-midi, le Conseil de sécurité à prendre des « mesures urgentes » pour remédier à la « triple crise » –politique, économique et sécuritaire– que connaît Haïti, en proie notamment à la violence de gangs criminels. Les États-Unis ont annoncé la présentation dans les prochains jours d’un projet de résolution sur ce dossier dont elle est porte-plume avec le Mexique. Le Ministre des affaires étrangères d’Haïti, qui a dénoncé les « pêcheurs en eaux troubles » à l’origine du chaos dans son pays, a quant à lui estimé que la situation est « globalement sous contrôle ».

Première intervenante de cette séance convoquée par la Chine, la Représentante spéciale du Secrétaire général et Cheffe du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), Mme Helen La Lime, a déclaré que le pays se trouve depuis quelques semaines à « l’effrayante intersection de trois crises ». Une crise sécuritaire liée aux activités des gangs ayant poussé plus de 20 000 personnes à fuir leurs foyers et une crise économique qui étrangle Haïti, avec une envolée notamment des prix des denrées alimentaires, a-t-elle expliqué.

La crise est également politique puisque simultanément, « les acteurs politiques ne parviennent pas à s’accorder sur la tenue d’élections ». La Représentante spéciale a rappelé que, sitôt l’annonce faite le 11 septembre de la fin des subventions aux produits pétroliers, l’une des plus larges alliances de gangs a bloqué le principal terminal pétrolier du pays, à Varreux, à Port-au-Prince. Le siège a duré plus d’une semaine, malgré les opérations policières, entraînant des pénuries à travers tout le pays.

Mme La Lime a néanmoins loué les efforts de la Police nationale d’Haïti en vue de démanteler ces barrages, efforts qui ont restauré un semblant de confiance envers elle au sein de la population. Néanmoins, des quartiers entiers demeurent hors de son contrôle et la situation autour du terminal précité demeure tendue, a-t-elle expliqué, en rappelant que l’insécurité entrave le bon acheminement d’une aide humanitaire aux 4,9 millions d’Haïtiens qui en ont besoin.

« La situation est désespérée », a appuyé la Directrice générale adjointe du Programme alimentaire mondial (PAM). Mme Valérie Guarnieri a averti que la crise alimentaire va aller en s’aggravant, trois millions de personnes se trouvant en situation d’urgence. Les manifestants ont pillé un tiers des stocks alimentaires prépositionnés sur l’île par le PAM, soit plus de 2 000 tonnes, a-t-elle précisé, en appelant la communauté internationale à faciliter l’accès humanitaire en Haïti.

Un ton alarmiste partagé par Mme Ghada Waly, la Directrice exécutive de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), qui a considéré que la criminalité organisée et les affrontements entre gangs rivaux compromettent les perspectives de développement durable du pays. « Haïti a besoin d’une police compétente et d’un système judiciaire indépendant pour que la justice puisse fonctionner et l’impunité cesse », a insisté la haute fonctionnaire, en soulignant l’importance de la coopération régionale pour endiguer la violence.

Face à la gravité de la situation en Haïti, Mme La Lime a exhorté le Conseil à prendre des mesures dans les meilleurs délais. Un appel à l’action que toutes les délégations ont fait leur, à l’instar de la France qui a indiqué qu’il « y a urgence à agir ». Nous suivons de près la mise en œuvre de la résolution 2645 (2022), qui rappelle notre engagement collectif à accompagner Haïti vers la sortie de crise, en définissant nos attentes ainsi qu’en mobilisant l’ONU sur place, a expliqué la représentante française. Le Conseil doit suivre en permanence les nouveaux développements sur le terrain afin d’examiner la pertinence de nouvelles mesures, a appuyé le Brésil.

Ce dernier a ainsi considéré indispensable d’entamer des discussions approfondies sur les dispositions de ladite résolution relatives à l’interdiction du transfert d’armes de petit calibre, d’armes légères et de munitions à des acteurs non étatiques, dans le cadre de paramètres stricts, notamment s’agissant des sanctions. La Chine a quant à elle demandé que le BINUH communique au Conseil les noms des responsables des gangs criminels, avant de demander, à l’instar de la Russie, l’élimination de tout transfert d’armes vers ces gangs.

« Nous avons l’intention de présenter, avec le Mexique, un projet de résolution dans les jours à venir avec des mesures claires en ce sens », ont déclaré les États-Unis. Il ne s’agit pas de « punir » le Gouvernement, encore moins la population, mais de demander des comptes à ceux qui fournissent ou acquièrent les armes illégales, a affirmé le Mexique. Toute action du Conseil en Haïti doit tenir compte des échecs passés et s’accompagner d’un important renforcement de la confiance, a déclaré le Kenya au nom des A3.

« Le Gouvernement a rétabli la sécurité dans le pays », a assuré le Ministre haïtien des affaires étrangères, en estimant que le calme était revenu, à l’exception de quelques cas isolés. Inquiet des effets dévastateurs des gangs, alimentés par certains secteurs économiques et quelques acteurs politiques, il a appelé la communauté internationale à soutenir la Police nationale d’Haïti. La décision de certains pays d’envisager d’imposer des sanctions à l’égard de ceux et celles qui participent aux activités criminelles et à l’insécurité dans le pays est un « grand pas » dans la « bonne direction », a conclu le Ministre.

LA QUESTION CONCERNANT HAÏTI

Déclarations liminaires

Mme HELEN LA LIME, Représentante spéciale du Secrétaire général et Cheffe du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), a déclaré que le pays se trouve depuis quelques semaines à « l’effrayante intersection de trois crises ». Une crise en raison des activités des gangs qui ont poussé plus de 20 000 personnes à fuir leurs foyers. Une crise économique qui étrangle le pays, avec une envolée des prix des denrées alimentaires, l’essence n’étant plus disponible que sur le marché noir. Et « pendant ce temps, les acteurs politiques ne parviennent pas à s’accorder sur un terrain d’entente s’agissant de la tenue d’élections ». Elle a rappelé que le Premier Ministre haïtien a annoncé le 11 septembre la fin des subventions sur l’essence, lesquelles coûtent environ 400 millions de dollars par an. Des barrages sont aussitôt apparus, paralysant tout le pays. Le 18 septembre, alors que le Premier Ministre s’était adressé à la nation plus tôt dans la journée, l’une des plus larges alliances de gangs a bloqué le principal terminal pétrolier du pays, à Varreux, à Port-au-Prince. Le siège a duré plus d’une semaine, malgré les opérations policières, entraînant des pénuries dans tout le pays.

La Représentante spéciale a précisé qu’elle a poursuivi ses efforts de médiation auprès de tous les secteurs de la société haïtienne, en indiquant que les parties prenantes ont repris leurs engagements avec un sentiment d’urgence renouvelé. Elle a noté les nouvelles consultations qui ont été lancées en vue de forger un consensus autour de la tenue d’élections. Il est aussi encourageant de voir que les responsables du secteur privé se sont engagés à s’acquitter de leurs obligations légales et fiscales, a noté Mme La Lime. Une amélioration dans la collecte des recettes sera le signe le plus tangible de la manière dont ces engagements sont respectés, a-t-elle dit, en pointant le rôle d’intérêts privés dans la survenue de la crise.

Elle a déclaré que les troubles ont mis au défi la Police nationale d’Haïti, en louant son travail pour éliminer les barrages. Ces efforts ont restauré un semblant de confiance en la police au sein de la population. Néanmoins, des quartiers entiers demeurent hors du contrôle de la police et la situation autour du terminal précité demeure tendue. La Cheffe du BINUH a estimé qu’au moins 1,5 million de personnes ont été directement affectées par la violence des gangs, l’insécurité ayant entravé l’accès humanitaire. Des stocks du PAM ont aussi été pillés. Avant les récentes violences, près de 4,9 millions d’Haïtiens avaient besoin d’une aide.

En conclusion, la Représentante spéciale a déclaré que cette triple crise –sécuritaire, économique et politique– a abouti à une catastrophe humanitaire. Elle a plaidé pour une solution politique menée par les Haïtiens eux-mêmes afin de remédier à la crise, tout en enjoignant ce Conseil à prendre « des mesures urgentes » pour appuyer ces efforts.

Mme VALÉRIE GUARNIERI, Directrice générale adjointe du Programme alimentaire mondial (PAM), a dit s’être rendue à plusieurs reprises à Haïti où elle a été frappée par les besoins et difficultés rencontrées par cet organisme humanitaire et ses partenaires pour apporter l’aide aux nécessiteux, même si, jusqu’à récemment, des signes d’espoir avaient été relevés, notamment pour distribuer des repas équilibrés aux enfants à l’école. Plus de 450 000 personnes bénéficiaient d’une aide alimentaire avec des stocks prépositionnés sur place. Aujourd’hui la situation est désespérée, a-t-elle constaté en expliquant qu’en un an, le panier de la ménagère a augmenté de 51% et l’inflation est de 31%. Le carburant ne peut plus entrer dans le pays par voie portuaire et l’eau se fait rare, alors que les enfants sont déscolarisés à cause de l’insécurité. « Voilà la réalité que vivent depuis des mois les Haïtiens », a déploré la haute fonctionnaire.

Selon elle, la crise alimentaire va croître avec trois millions de personnes en situation d’urgence, sachant que l’insécurité rend difficile les prestations humanitaires. Les manifestants ont pillé un tiers des stocks alimentaires prépositionnés sur l’île par le PAM, soit plus de 2 000 tonnes, sans compter ceux d’autres organisations, a précisé Mme Guarnieri, en soulignant la gravité de ces actes en pleine saison des ouragans. Elle a assuré vouloir rester sur place, même s’il est impossible à ce stade d’apporter le soutien requis aux populations dans le besoin. Le PAM lance donc un appel à la communauté internationale pour faciliter l’accès humanitaire en Haïti, a-t-elle déclaré, avant de rappeler que le plan de riposte humanitaire pour Haïti n’est financé qu’à hauteur de 22%, que l’accès aérien est difficile pour éviter les zones contrôlées par les gangs et qu’il faut renforcer la sécurité du personnel et des entrepôts humanitaires sur l’île. Haïti a besoin d’aide maintenant, a-t-elle tranché, et le PAM compte sur votre soutien, a-t-elle lancé aux membres du Conseil.

Mme GHADA FATHI WALY, Directrice exécutive de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), a considéré que la violence, le crime organisé et les affrontements entre gangs armés compromettent la sécurité, l’état de droit et les perspectives de développement durable en Haïti. Les frontières maritimes et terrestres poreuses du pays le rendent particulièrement vulnérable aux trafics en tous genres, notamment de stupéfiants, d’armes et de munitions. La coopération régionale est donc essentielle pour endiguer la récente flambée de violence et ses implications transfrontalières, notamment avec la République dominicaine, a-t-elle expliqué. L’ONUDC, en collaboration avec la Communauté des Caraïbes (CARICOM), s’emploie à mettre en œuvre la feuille de route des Caraïbes pour lutter contre le trafic illicite d’armes à feu.

Il est essentiel de soutenir les autorités judiciaires et policières haïtiennes pour venir en aide à la population civile et prévenir la déstabilisation régionale, a poursuivi Mme Waly. En mars de cette année, une équipe de l’ONUDC a mené une mission en Haïti, en collaboration avec le BINUH, afin de renforcer les capacités du Gouvernement en termes de sécurisation des frontières, des ports et des aéroports internationaux. Le Gouvernement haïtien a en outre confié à l’ONUDC la tâche de l’aider à améliorer sa gestion des frontières, notamment en cartographiant des activités transnationales en Haïti et leur impact régional. L’ONUDC compte par ailleurs demeurer présent dans le pays pour prendre, « lorsque les conditions sécuritaires le permettront », des mesures renforcées. En outre, l’ONUDC, le BINUH et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) coopèrent dans le cadre d’un programme conjoint destiné à soutenir la Police nationale d’Haïti. Haïti a besoin d’une police compétente et d’un système judiciaire indépendant pour que la justice puisse fonctionner et l’impunité cesse, a insisté la Directrice exécutive.

Déclarations

M. GENG SHUANG (Chine) a déclaré que la situation en Haïti a empiré avec la suppression brutale des subventions de carburant, déclenchant des protestations. Il a appelé au démantèlement des gangs et jugé nécessaire que le Conseil passe des paroles aux actes sur le dossier haïtien. Le délégué a encouragé les États-Unis et le Mexique, délégations porte-plumes, à présenter un projet de résolution dès que possible à ce sujet. Le BINUH devrait donner les noms des gangs criminels au Conseil, a dit le délégué. Il a demandé l’élimination de tout transfert d’armes aux gangs criminels, sans qu’une telle décision n’affecte la coopération avec les autorités haïtiennes. Le Conseil devrait par ailleurs aider le pays dans la gestion des douanes et des ports. Enfin, il a rappelé que l’aide internationale ne joue qu’un rôle catalyseur –l’impasse politique dure depuis des années en Haïti–, avant d’inviter les entités onusiennes sur place à travailler de manière décloisonnée.

M. JEFFREY DELAURENTIS (États-Unis) a dit que son gouvernement s’efforce de faire face aux troubles en Haïti pour assurer la sécurité de tous les Haïtiens, comme l’a rappelé le Président Biden la semaine dernière à la tribune de l’Assemblée générale. Il a condamné les actes de pillage et de destruction perpétrés la semaine dernière en Haïti, notamment dans les locaux du PAM et de l’ONUDC. Nous savons tous que la sécurité en Haïti s’est détériorée au cours de l’année écoulée à cause de la montée en puissance des gangs, a-t-il relevé, en ajoutant qu’ils recrutent même des mineurs. Par conséquent, le représentant a appelé à soutenir la Police nationale d’Haïti de toute urgence, Washington ayant dépêché des experts antigangs sur place et fourni des équipements de protection dans le cadre d’une enveloppe de 80 millions de dollars, a annoncé le représentant. En outre, les États-Unis vont contribuer de 3 millions de dollars au panier de fonds sécuritaire de l’ONU, a encore indiqué le représentant, en affirmant que les États-Unis maintiendront leur aide à Haïti tout en cherchant à appuyer des solutions prises en main par les Haïtiens eux-mêmes. Il a appelé le Conseil à agir et à faire fond sur sa résolution 2645, les États-Unis et le Mexique ayant l’intention de présenter un projet de résolution dans les jours à venir avec des mesures claires en ce sens.

M. JUAN RAMÓN DE LA FUENTE RAMÍREZ(Mexique) a condamné le pillage récent des entrepôts du PAM en Haïti et réitéré son appui au travail du BINUH, qui opère dans des conditions « extrêmement difficiles ». Face au niveau « alarmant » des violences perpétrées ces derniers jours, « nous ne pouvons pas attendre que le pire se produise », a-t-il mis en garde. Selon lui, le Conseil de sécurité et la communauté internationale doivent adopter de toute urgence pour Haïti des mesures plus efficaces que celles prises jusqu’à présent. Il s’est également inquiété de la détérioration de la situation des droits humains et de l’impact de la violence sur les enfants du pays, notamment en ce qui concerne l’accès à l’éducation et à la santé. Pour faire face à la criminalité organisée et aux gangs, qui exercent un contrôle sur l’économie locale et la vie quotidienne à Port-au-Prince et ses environs, la Police nationale d’Haïti a besoin d’un soutien efficace de la part de la communauté internationale, a préconisé le délégué. Il a donc dit attendre avec impatience les informations du Gouvernement concernant les mesures qu’il a prises pour relancer les processus politique et électoral. Alors que la crise multidimensionnelle en cours exige une solution centrée sur la lutte contre la violence et l’insécurité, simultanément au dialogue, à la gouvernance et à un processus électoral libre, « rien de tout cela ne se produit », a déploré M. de la Fuente Ramírez. « Si la violence des gangs ne cesse pas, il ne sera pas possible de stabiliser le pays », a encore dit le représentant, en précisant qu’il ne s’agit par de « punir » le Gouvernement, et encore moins la population, mais de demander des comptes à ceux qui fournissent ou acquièrent les armes illégales sources de violence.

Mme RUCHIRA KAMBOJ (Inde) a réitéré son inquiétude quant à la situation précaire en Haïti, notant que les troubles civils s’y poursuivent, de même que les violences et les enlèvements à l’instigation des gangs. Les opérations de l’ONU sont également suspendues en raison d’obstacles logistiques et sécuritaires, a-t-elle relevé. Face à cette situation, la déléguée a réitéré la nécessité de prévoir des solutions sécuritaires durables dirigées par les Haïtiens eux-mêmes, notamment le renforcement des capacités de la Police nationale d’Haïti. Relevant qu’aucune solution aux crises politique, socioéconomique et sécuritaire ne pourra émerger sans l’implication du pays et de ses voisins, la représentante s’est félicitée à cet égard de l’engagement de la CARICOM, du Canada et de la République dominicaine à renforcer la police et à contrôler les flux d’armes légères et de petit calibre dans le pays.

M. FERIT HOXHA (Albanie) a dit qu’Haïti a un besoin « désespéré » d’aide, en soulignant la nécessité de neutraliser les gangs qui étranglent le pays et sa population. Il est crucial de rétablir l’ordre, a-t-il dit, en affirmant que les autorités ne semblent pas en état de prendre les mesures énergiques qui s’imposent. « Le pays est au bord de la faillite et la classe politique ne paraît pas concernée », a constaté le délégué, pour qui on a le sentiment que cette classe et le peuple sont deux entités séparées. Il a appelé les autorités à entendre les manifestants et à organiser des élections en vue de rétablir la légitimité de l’État dans le pays. Enfin, le Conseil a demandé le renforcement du BINUH et souhaité qu’il agisse au plus vite en ce sens.

M. MARTIN GALLAGHER (Irlande) a salué les efforts de l’ONUDC pour remédier à la prolifération des armes de petit calibre en Haïti, avant de dénoncer le recours à la violence sexuelle par les gangs pour assoir leur pouvoir auprès de communautés d’ores et déjà traumatisées. Il a ensuite condamné le meurtre le 11 septembre de deux journalistes, Tayson Latigue et Frantzsen Charles. La crise multidimensionnelle que connaît le pays ne pourra qu’empirer sans l’acheminement d’une aide humanitaire, a poursuivi le délégué, en fustigeant le pillage des stocks du PAM. Il a demandé la reprise d’un dialogue constructif dans le pays, avec l’appui de la communauté internationale. Les efforts pour parvenir à un accord politique doivent être désormais à la hauteur des souffrances endurées par les Haïtiens, a conclu M. Gallagher.

M. MARTIN KIMANI (Kenya), qui s’exprimait au nom des A3 (Gabon, Ghana, Kenya), a considéré que toute action soutenue par le Conseil en Haïti doit tenir compte des échecs passés et être accompagnée d’un important renforcement de la confiance, de la transparence et du respect. La confiance du peuple haïtien dans tous les efforts promus par le Conseil spécifiquement, et l’ONU en général, est un minimum, a exigé M. Kimani. Il a salué les mesures positives prises par la CARICOM en exhortant tous les partenaires internationaux à travailler en étroite collaboration avec elle pour trouver les ressources financières et techniques qui seront déployées en fonction des besoins et des priorités haïtiennes. En tant que représentants africains, les A3 se sont engagés à s’impliquer davantage au niveau politique et technique en estimant que l’expérience des pays africains en ferait des partenaires de choix.

L’objectif immédiat devrait être d’offrir à la Police nationale d’Haïti une formation et un équipement suffisants pour affronter efficacement les gangs. Il serait particulièrement utile que la formation soit assurée par des pays qui en ont l’expérience en la matière et dont les professionnels de la police peuvent s’entendre avec leurs homologues haïtiens, a préconisé le représentant. Il a recommandé un cadre de coopération conçu et coordonné par Haïti pour permettre, si besoin, le déploiement d’une police soutenue et mandatée par l’ONU avec des compétences spécifiques dans la réponse aux gangs violents. Cependant, une police plus forte ne réussira que si son travail s’accompagne d’un système judiciaire renforcé, a souligné M. Kimani, en parlant notamment d’accélérer le traitement des dossiers par les tribunaux et d’éliminer les détentions provisoires prolongées. Il a également mis l’accent sur l’impératif d’un État compétent et donc d’investir dans la formation de la fonction publique. Quant à l’insécurité alimentaire, il s’est félicité des mesures bilatérales et multilatérales pour fournir une aide immédiate, mais cela devrait s’accompagner d’efforts ambitieux pour accroître la productivité agricole et améliorer les moyens de subsistance sur place.

Mme ALICE JACOBS (Royaume-Uni) s’est dite préoccupée par la détérioration continue de la situation sécuritaire en Haïti, qui ne fait que renforcer les défis multidimensionnels auxquels Haïti est confrontée et exacerber les vulnérabilités de la population. Elle a condamné le pillage du Bureau et de l’entrepôt du Programme alimentaire mondial (PAM) aux Gonaïves, qui empêchera l’aide de parvenir à des milliers de personnes parmi les plus vulnérables d’Haïti. La représentante a encouragé tous les acteurs à travailler de manière constructive pour trouver des solutions urgentes et soutenir le redressement. En outre, les parties prenantes haïtiennes doivent redoubler d’efforts pour résoudre l’impasse politique, a souligné la déléguée, qui leur a demandé de reprendre le dialogue politique et de garantir l’environnement sécuritaire nécessaire à la tenue d’élections libres et équitables dans les meilleurs délais. Enfin, elle a dit attendre avec impatience les résultats de l’examen stratégique des options en vue de soutenir la sécurité en Haïti.

Mme AMEIRAH OBAID MOHAMED OBAID ALHEFEITI (Émirats arabes unis) a fait part de sa « profonde inquiétude » face à l’escalade en Haïti, notamment les attaques contre les civils et les infrastructures civiles. Elle a condamné les actes de violence qui sapent les efforts déployés pour instaurer une paix durable en Haïti, estimant qu’une telle situation souligne le besoin urgent d’un dialogue « calme et inclusif » permettant au pays de reprendre le chemin d’une solution politique durable. Alors que près de la moitié de la population se trouve en situation d’insécurité alimentaire chronique, la représentante a trouvé particulièrement odieux le pillage des entrepôts humanitaires, notamment ceux du PAM. Nous devons assurer de toute urgence l’acheminement sûr, rapide et sans entrave de l’aide humanitaire afin de freiner la détérioration des conditions de vie des Haïtiens. L’aggravation de la situation en Haïti met également en relief le besoin urgent de renforcer les capacités du secteur de la sécurité, y compris le système judiciaire et la Police nationale d’Haïti, a fait valoir Mme Alhefeiti. À ce titre, l’ONUDC a un rôle essentiel à jouer, a-t-elle jugé, dans l’attente de résultats « tangibles » de ses programmes. Les défis sécuritaires, économiques, humanitaires et politiques en Haïti nécessitent une approche globale et inclusive. Les prochains rapports du Secrétaire général ainsi que les mises à jour sur l’évolution politique du pays qui seront fournies par le Gouvernement haïtien au cours des prochains mois seront fondamentaux pour orienter les discussions du Conseil, a-t-elle conclu.

Mme MONA JUUL (Norvège) a exprimé sa vive préoccupation face à l’instabilité politique, à la violence et à l’agitation sociale qui continuent d’entraver le développement économique et social d’Haïti. L’accès aux services de base demeure insuffisant et les besoins humanitaires ne cessent d’augmenter, tandis que des rapports font état de violences sexuelles et sexistes, s’est-elle alarmée. Devant ces problèmes, la représentante a exhorté les parties prenantes à désamorcer la crise et à s’abstenir de tout recours à la violence, conditions nécessaires à un accès humanitaire sûr et sans entrave aux personnes vulnérables. Les Haïtiens, a-t-elle noté, sont confrontés au quotidien aux grands défis internationaux de notre époque décrits lors du débat général, des changements climatiques aux violations des droits humains. Elle a donc invité les dirigeants politiques et l’opposition à reconnaître la gravité de la situation et à faire les compromis qui s’imposent dans l’intérêt du peuple haïtien. Dans l’attente du prochain rapport du Gouvernement haïtien sur ses activités politiques, prévu en octobre, elle a estimé que seule une solution inclusive et menée par les Haïtiens saura inverser les développements négatifs actuels, avec l’appui de la communauté internationale.

M. RONALDO COSTA FILHO (Brésil) a jugé regrettable que le Conseil soit convoqué une fois de plus pour discuter d’une nouvelle flambée de violence en Haïti. Malheureusement, ces incidents deviennent sans cesse plus fréquents et dangereux, a-t-il relevé, alors que « les frontières entre la violence criminelle et politique deviennent de plus en plus floues ». Il s’est dit préoccupé des conséquences humanitaires de grande envergure de la crise si la question de l’approvisionnement en carburant n’est pas réglé rapidement. M. Filho a toutefois salué les pourparlers initiés par des organisations politiques rivales afin de sortir de l’impasse politique. Il a exhorté tous les acteurs politiques haïtiens à approfondir le dialogue et à s’entendre de toute urgence sur une voie politique permettant de mettre fin à la violence, de rétablir les institutions nationales et, à terme, d’organiser des élections équitables.

Pour sa part, le Brésil n’a cessé de plaider en faveur du renforcement du soutien de l’ONU à Haïti, notamment en renforçant les capacités du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), a rappelé le délégué. À ses yeux, la situation en Haïti doit rester une priorité de la communauté internationale, et le Conseil suivre en permanence les nouveaux développements sur le terrain afin d’examiner la pertinence de nouvelles mesures. Dans ce contexte, il a considéré indispensable d’entamer des discussions approfondies sur les dispositions de la résolution 2645 (2022), en particulier celles relatives à l’interdiction du transfert d’armes de petit calibre, d’armes légères et de munitions à des acteurs non étatiques, dans le cadre de paramètres stricts, notamment s’agissant des sanctions. Au-delà des considérations sécuritaires, « la résolution d’une crise multidimensionnelle exige une réponse multidimensionnelle », a résumé le délégué en conclusion.

M. DMITRY A. POLYANSKIY (Fédération de Russie) a dit qu’Haïti est au bord de la catastrophe, avec une violence persistante des gangs. La situation a empiré après la suppression des subventions au carburant, a dit le délégué, en pointant le rôle joué par les « oligarques » dans les récentes violences. Il a regretté le manque de mesures pour remédier à la crise nationale, en rappelant que l’histoire d’Haïti est connue de tous. Les responsables de l’assassinat du Président Jovenel Moïse doivent être punis, a ajouté le représentant, qui a invité la communauté internationale à corriger ses erreurs sur le dossier haïtien, en invitant à cesser toute ingérence. Il faut concentrer notre attention sur le trafic d’armes qui alimente la violence, a-t-il souligné en conclusion.

« Il y a urgence en Haïti », a lancé d’emblée Mme NATHALIE BROADHURST ESTIVAL (France), en exprimant sa vive préoccupation face à la récente escalade de la violence. Face aux attaques et au pillage qui se multiplient dans l’ensemble du pays, les autorités haïtiennes doivent réagir et la communauté internationale se mobiliser davantage. Nous suivons de près la mise en œuvre de la résolution 2645 (2022), qui rappelle notre engagement collectif à accompagner Haïti vers la sortie de crise, en définissant nos attentes ainsi qu’en mobilisant les Nations Unies sur place, a expliqué la représentante.

Mme Broadhurst Estival a exhorté les acteurs politiques haïtiens à parvenir à un accord visant la tenue d’élections démocratiques, « lorsque les conditions sécuritaires le permettront ». Pour ce faire, elle a appelé la classe politique à faire preuve de responsabilité afin de renouer le dialogue et sortir de l’impasse actuelle. Alors que les groupes criminels multiplient les exactions en toute impunité, sapent l’autorité de l’État et pillent ses ressources, la déléguée a souligné l’importance de mettre fin à la violence des gangs, notamment en renforçant, par le biais du BINUH, la Police nationale d’Haïti. « Sans sécurité, il n’y aura ni état de droit, ni développement. » Enfin, elle a appelé à freiner la dégradation de la situation économique et humanitaire. En retour, le Gouvernement haïtien doit renforcer la gouvernance et réformer ses institutions, notamment la lutte contre la corruption.

M. JEAN VICTOR GENEUS, Ministre des affaires étrangères d’Haïti, a indiqué que, le 12 septembre dernier, des manifestations violentes avaient éclaté dans le pays suite à la décision gouvernementale de cesser la subvention des produits pétroliers entraînant l’augmentation du prix des carburants. Cette décision, quoique difficile, était impérative, a-t-il affirmé, notant que l’État perdait 400 millions de dollars par an et devait assainir les finances publiques en adoptant un budget d’austérité par des réformes macroéconomiques. Le Gouvernement a également entrepris une réforme de l’administration douanière pour lutter contre la contrebande et le trafic d’armes, ainsi que pour augmenter les recettes, permettant de collecter 8 milliards de gourdes en août, soit une hausse de 40%.

Il a critiqué « les pêcheurs en eaux troubles » du système politique ayant instrumentalisé l’inflation pour créer une situation chaotique, bloquant les villes et détruisant des infrastructures avec l’aide de gangs lourdement armés. Face à la brutale détérioration de la situation, le Gouvernement a rétabli la sécurité dans le pays, a annoncé M. Geneus, qui a estimé qu’à l’exception de quelques cas isolés, la situation était globalement sous contrôle et le calme revenu dans le pays.

Le Chef de la diplomatie haïtienne a exprimé la préoccupation et l’inquiétude du Gouvernement haïtien devant les effets dévastateurs des gangs, alimentés par certains secteurs économiques et quelques acteurs politiques, sur l’économie et le quotidien de la population. Les manifestations violentes et les difficultés de livraison de carburants menacent de paralyser l’État, a-t-il mis en garde, notant que certaines entreprises ont menacé de quitter le pays, que certains hôpitaux ont dû fermer, tandis que la réouverture des établissements scolaires est à ce stade hasardeuse.

Le Ministre a appelé la communauté internationale à soutenir la Police nationale d’Haïti, notant que la décision de certains pays d’envisager d’imposer des sanctions à l’égard de ceux et celles qui participent aux activités criminelles et l’insécurité dans le pays est un « grand pas » dans la « bonne direction ».

M. ROBERTO ÁLVAREZ GIL, Ministre des affaires étrangères de la République dominicaine, a remercié le Conseil de sécurité pour l’adoption de la résolution 2645 en date de juillet dernier, laquelle a prorogé d’un an le mandat du BINUH. Cependant, les résultats attendus du Bureau dépendent de la conclusion par les Haïtiens d’un accord national comme point de départ afin de combattre et neutraliser les gangs et, en deuxième lieu, d’organiser la tenue d’élections dès que les circonstances le permettront. Malheureusement, jusqu’à présent, ce processus n’a pas abouti et, pour cette raison, le Gouvernement dominicain considère que les efforts de stabilisation en Haïti doivent être axés sur la pacification immédiate et le dialogue politique comme seuls moyens adéquats pour faire face à la violence et au chaos, a fait valoir le Ministre. Notant la quasi-absence de progrès en termes de soutien à la Police nationale d’Haïti, il a estimé que la communauté internationale doit consolider l’assistance à la formation de la police pour en faire une force robuste, capable de rétablir la paix et de mettre fin à la violence des gangs armés qui sont « infiltrés par le pouvoir politique et économique ». La seule réponse durable et viable à la crise haïtienne doit venir des Haïtiens eux-mêmes, a ajouté le Chef de la diplomatie dominicaine.

M. ROBERT KEITH RAE (Canada) a relevé que la situation en Haïti est critique, avec des gangs armés qui encerclent Port-au-Prince et mettent en danger la sécurité de ses résidents, notamment les enfants qui ne peuvent pas aller à l’école. Il a parlé de la pénurie chronique d’aliments et de l’insécurité alimentaire qui augmente. À Cité-Soleil, a-t-il poursuivi, les femmes enceintes ne peuvent pas recevoir les services de santé de base à cause de la violence des gangs. Avec, en plus, les commerces qui ferment, les Haïtiens fuient le pays ou se déplacent, a-t-il ajouté tout en rendant hommage à la résilience du peuple. Le représentant a appelé la communauté internationale à faire preuve de davantage de volonté pour aider les Haïtiens et indiqué que le Canada poursuit son engagement envers Haïti. Il a ainsi signalé que la semaine dernière, en collaboration avec les partenaires des Caraïbes, le Premier Ministre Justin Trudeau a présidé une rencontre du Groupe consultatif ad hoc sur Haïti du Conseil économique et social et exprimé son souhait du renforcement de son appui à court et à long terme. Cette aide est notamment destinée à identifier les causes profondes des défis complexes et interconnectés auxquels le pays est confronté.

Le représentant a appelé à appuyer Haïti pour que le pays crée les conditions propices à un dialogue national inclusif afin de permettre à l’ensemble de la population de dessiner les pourtours d’un parcours vers des élections crédibles et un retour à un gouvernement stable et démocratique. Il a souligné à cet égard l’importance de donner l’opportunité aux femmes et aux jeunes de jouer le rôle important qui leur revient. Pour aider la Police nationale d’Haïti, le Canada a créé avec elle et l’ONU, en le finançant, un panier de fonds géré par le PNUD, a encore indiqué le délégué. Il a ajouté que le Canada est prêt à appuyer le Gouvernement d’Haïti à renforcer sa capacité à combattre la corruption, les crimes économiques, ainsi que le blanchiment d’argent, ce qui passe par le renforcement des capacités des institutions juridiques haïtiennes.

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