Des villageois se souviennent des disparus à Mapou

MAPOU, Haïti (AP) – Des corps flottent dans l’eau, qui a envahi le village, et le silence s’est abattu sur le marché. Presque une semaine après les inondations meurtrières qui ont frappé la région, Mapou (sud-est d’Haïti) reste une localité sinistrée. Beaucoup parmi les habitants les plus aisés, ceux qui avaient des maisons en dur, ont survécu à la catastophe qui a fait au moins 1.700 morts dans la zone frontalière que se partagent Haïti et la République dominicaine sur l’île d’Hispaniola. Certains villageois évoquent le souvenir d’habitants disparus dans la tragégie. « Je me souviens de Madame Roget », déclare Denis Philippe, 44 ans, vendeur de pain, évoquant une vendeuse réputée de « griot », un plat à base de porc mariné. « Mais personne ne l’a vue. Beaucoup des gens qui ont vécu dans les maisons en terre ont disparu. » Malgré une température étouffante depuis une semaine, la région est encore submergée par six mètres d’eau stagnante où flottent des cadavres et une odeur de putréfaction. « Nous avons appris que l’homme qui vendait des mangues est mort », souligne Denis Jean-Baptiste, 37 ans. « Je ne me souviens pas de son nom mais tout le monde connaissait son visage: il avait perdu presque toutes ses dents. » Mapou, qui porte le nom d’un arbre sacré du vaudou, est un village miséreux comme il en existe tant en Haïti, sans eau courante ni électricité, où l’on coupe les arbres pour cuisiner au charbon de bois, une déforestation qui a aggravé le drame des intempéries, l’eau s’écoulant sans végétation pour la bloquer. Avant les inondations, les villageois gagnaient leur vie en cultivant de la menthe, du maïs et du café. Certains travaillaient comme coupeurs de canne à sucre saisonniers en République dominicaine. Philis Milfort, 87 ans, a perdu huit membres de sa famille, qui l’avaient aidé lorsqu’il a été amputé de sa jambe à cause de la gangrène il y a trois ans. « Ma jambe, mes animaux, ma maison et ma famille ont disparu », se lamente-t-il. « Le village est maudit par les désastres. » En 1998, l’ouragan Georges avait frappé la localité, faisant des morts et détruisant des bâtiments, dont certains n’avaient toujours pas été réparés. Un temple vaudou a été emporté par les eaux avec son prêtre, qui figure parmi les centaines de disparus recensés sur une population de quelque 3.000 personnes à Mapou, souligne Sinustal Jean, 76 ans. Un autre lieu de vie était le marché, où les femmes vendaient des oignons pendant que les hommes jouaient aux dominos. « Les hommes prenaient du rhum ou une bière et se plaignaient des récoltes ou des infidélités conjugales présumées de leur épouse », se souvient Montero Saint-Louis, 46 ans. « C’était l’endroit où tout le monde allait. Aujourd’hui, il n’y a nulle part où aller. » Des dizaines de corps restent dans l’eau. Les soldats de la force multinationale déployée en Haïti et les secouristes concentrent leurs efforts sur l’acheminement de vivres et d’eau potable aux survivants de Mapou. Le Comité international de la Croix-Rouge a installé un hôpital de campagne à l’entrée du village. Les autorités haïtiennes parlent de déplacer les habitants vers un autre lieu, plutôt que de reconstruire dans cette vallée, vulnérable aux catastrophes naturelles. AP, 1er juin 2004

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