Dialogue inter-haïtien : les règles du jeu

Le Conseil Épiscopal de Médiation, assisté d’une équipe d’experts indépendants aura fort à faire pour tenir en laisse les démons du midi de la classe politique haïtienne et favoriser la conclusion d’un accord viable. Mais, avant toute autre chose, les parties prenantes devront d’abord respecter les règles du jeu.Qu’en est-il ? Réunir les Parties – pouvoir exécutif, pouvoir législatif, partis politiques – autour de la table du dialogue est déjà tout un exploit. Alors là, chapeau !! S’assurer du bon déroulement des délibérations avec de « grands gamins habitués à se chamailler pour une bille ou un pistolet à eau », – pour paraphraser un observateur sans complaisance – sera le défi à relever au cours de ces assises.Amener les Parties à parvenir à un consensus est tout l’enjeu de cet exercice sans précédent en Haïti. »Il s’agira de se concerter en vue de parvenir à un pacte politique sur la gouvernance démocratique, l’organisation d’élections crédibles, la question de l’amendement constitutionnel, la consolidation des Institutions démocratiques basée sur le respect du principe de la séparation des pouvoirs ».Pour ce faire, chaque Partie prenante doit « s’efforcer à demeurer dans le processus, à le protéger jusqu’à l’atteinte des objectifs ».Et si nos démons du midi reprenaient le dessus, entrainant l’échec de ce dialogue ? C’est prévu – en fait le Protocole de Médiation de la Conférence épiscopale est un modèle du genre – car, dans ce cas, « La Médiatrice se réserve le droit de renoncer, à tout moment, à sa mission, si, sans faute de sa part, il est impossible d’atteindre les résultats escomptés parce que font défaut les conditions nécessaires au bon déroulement du processus d’échanges et préalablement convenues avec les Parties ».Mais soyons optimistes, car c’est le meilleur de nous-mêmes qui s’est invité à l’hôtel El Rancho pour ce dialogue inédit et – osera-t-on le dire – décisif. ———————————- Nous publions in extenso Texte du Protocole de Médiation de la Conférence épiscopale : « La Conférence des Évêques d’Haïti (CEH) est une structure ecclésiastique canonique dotée de la personnalité juridique. Elle est au service de la pastorale d’ensemble de l’Église catholique en Haïti. Sa mission pastorale l’appelle souvent à jouer un rôle en faveur de la paix publique dans le pays. Dans ce contexte, face à la situation politique actuelle, elle a offert sa contribution gratuite et généreuse dans une note pastorale datée du 27 septembre 2013, pour aider les acteurs politiques et ceux des pouvoirs étatiques à dialoguer. Les Parties consultées ayant accepté cette offre, la CEH fait cette mission ad hoc de médiation avec une représentation d’évêques délégués, assistés d’un Conseil Épiscopal de Médiation (CEM) qui sont désignés ici comme une seule instance : la Médiatrice. Ce Conseil a aussi à sa disposition une équipe d’experts indépendants.La Médiatrice organise le dialogue avec les acteurs suivants : le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif, les partis politiques. Ils sont désignés ci-après : les Parties. Les observateurs indépendants de ce dialogue viennent des secteurs et institutions suivants: le pouvoir judiciaire, les confessions religieuses et religions, les structures organisées de la société civile dont l’Université, le secteur paysan, syndicat, patronat, la Fédération des Barreaux d’Haïti, les organisations des droits humains, des femmes, les associations de médias (ANMH / AMI), les organismes structurés de la société civile.La médiatrice a pour objectif principal de conduire les Parties à conclure un accord politique sur les points de l’agenda concerté afin de résoudre les problèmes urgents du pays et de jeter des bases pour un dialogue national. Cet objectif principal se décline dans les objectifs spécifiques suivants :i) Réunir les principaux acteurs autour de la table du dialogue ;ii) S’assurer du bon déroulement des délibérations ;iii) Amener les Parties à parvenir à un consensus.Afin d’assurer les conditions optimales de bonne volonté et de bonne foi dans ce dialogue, la Médiatrice établit avec et entre les Parties ce présent protocole. Ainsi, La Médiatrice et les Parties exposent : Considérant la situation à laquelle le pays est confronté aujourd’hui – chronicité de l’instabilité politique, crise institutionnelle ;Considérant les enjeux liés aux acquis démocratiques, à la séparation des pouvoirs exigeant des mesures exceptionnelles et un grand dépassement de la part des gouvernants et des acteurs politiques;Considérant que les acteurs reconnaissent la nécessité de trouver ensemble des solutions haïtiennes appropriées aux problèmes du pays;Considérant que les Parties, pour sortir le pays de cette situation anormale désirent régler leurs différends par la voie du dialogue et ont fait confiance à la Médiatrice pour mener à bien ce processus,LA MÉDIATRICE ET LES PARTIES CONVIENNENT:1. Principes généraux régissant le processus de médiationa. DéfinitionsAux termes du présent protocole :i. La « médiation » désigne l’intervention d’un tiers, indépendant, neutre et impartial, dénommé la Médiatrice, pour faciliter un dialogue inter-haïtien, entre les acteurs politiques en vue d’aboutir à une solution de sortie de crise agréée par eux ;ii. Le « dialogue » consiste en un échange entre Gouvernants et autres acteurs politiques afin de s’attaquer aux moteurs du conflit, de dégager un consensus politique et de trouver des solutions pratiques et pacifiques aux problèmes.- Dialogue politique. Cela s’entend du niveau du dialogue entre les partis politiques exclusivement, d’une part ; et entre les partis politiques et l’exécutif, d’autre part.- Dialogue interinstitutionnel. Dialogue entre le pouvoir exécutif et le parlement.iii. L’« indépendance » de la Médiatrice suppose qu’elle ne dépend d’aucune Partie en présence, et ce d’aucune manière : hiérarchique, financière, politique ;iv. La « neutralité » de la Médiatrice désigne son absence de préférence, tant à l’égard des Parties qu’à l’égard de telle ou telle solution au problème ;v. L’ « impartialité » de la Médiatrice est ce principe qui l’oblige, quel que soit son avis intime sur une question, à maintenir strictement – sans parti pris – l’équilibre du processus par lequel les Parties apporteront leur réponse à cette question.vi. L’expression « agenda concerté » désigne les thématiques retenues par les Parties et sur lesquelles devront se dérouler les échanges.b. But de la médiation Les Parties s’engagent, avec l’aide de la Médiatrice, à se concerter en vue de parvenir à un pacte politique sur la gouvernance démocratique, l’organisation d’élections crédibles, la question de l’amendement constitutionnel, la consolidation des Institutions démocratiques basée sur le respect du principe de la séparation des pouvoirs.c. Objectifs de la Médiation L’objectif principal de la Médiatrice est d’arriver à un accord politique sur les points de l’agenda concerté afin de résoudre les problèmes urgents du pays et de jeter des bases pour un dialogue national. Cet objectif principal se décline dans les objectifs spécifiques suivants : i) Réunir les principaux acteurs autour de la table du dialogue ;ii) S’assurer du bon déroulement des délibérations ;iii) Parvenir à un consensus entre les Parties prenantes.d. Bonne volonté et engagement des Parties Les Parties acceptent délibérément le leadership de la Médiatrice et attestent de leur bonne volonté à entamer un processus de dialogue franc. Chaque Partie consent librement à y participer de façon active et s’engage à prendre les moyens appropriés afin de trouver une solution haïtienne, concertée et consensuelle à la crise actuelle.Les Parties reconnaissent que doit être exclu du dialogue tout esprit de domination et de méfiance. Elles s’engagent à collaborer sans réserve avec la Médiatrice en vue de la poursuite des objectifs exposés et entendus dans le présent protocole.Chaque Partie reconnaît que la réussite du dialogue dépend de sa bonne volonté et s’engage à travailler à ce qu’elle ne soit en aucune façon la cause de l’échec du dialogue.Les Parties conviennent de n’exercer leur rapport de force sous aucune forme que ce soit, à la table de médiation et hors table, pendant toute la durée du processus du dialogue.e. Modalités et Durée Les Parties définissent entre elles, avec l’aide de la Médiatrice, les modalités d’organisation de la médiation et la durée du processus. Cette convention est incluse dans le présent protocole signé par les Parties et par la Médiatrice.f. Abandon du processus de dialogue Chaque Partie est consciente de ce que son retrait discrétionnaire du dialogue pourrait entraver la bonne marche de ce processus. Aussi, entend-elle s’efforcer à demeurer dans le processus, à le protéger jusqu’à l’atteinte des objectifs.Si l’abandon du dialogue par des Parties entraîne l’échec des pourparlers et l’impossible réalisation des objectifs, la Médiatrice met fin au dialogue et en dresse le procès-verbal.La Médiatrice se réserve le droit de renoncer, à tout moment, à sa mission, si, sans faute de sa part, il est impossible d’atteindre les résultats escomptés parce que font défaut les conditions nécessaires au bon déroulement du processus d’échanges et préalablement convenues avec les Parties.2. Rôle de la Médiatrice a. Généralités La Médiatrice agit comme intervenant indépendant, neutre et impartial. A cette fin, elle doit créer les conditions qui facilitent et permettent :i. L’information et la compréhension des Parties sur leur situation respective ; ii. La communication entre elles sur leurs difficultés et attentes réciproques ; iii. La recherche de solutions répondant aux attentes et difficultés manifestées ; iv. Un dialogue efficace et franc ; v. Sur la base de libre consentement la conclusion par les Parties d’un accord devant donner effet aux solutions identifiées. La Médiatrice s’engage à mettre en place tous les moyens nécessaires au bon déroulement du processus du dialogue et à favoriser l’émergence d’une solution des Parties.b. Moyens La Médiatrice a à sa disposition les moyens financiers et logistiques adéquats pour conduire le dialogue. Au besoin elle consulte des experts indépendants pour l’aider à préciser ou à accomplir sa mission.La Médiatrice choisit un lieu stable de réunion de travail convenable à toutes les Parties.c. Des Experts indépendants et des Observateurs Les experts n’interviennent jamais dans les débats ni dans les séances. Ils sont toujours consultés hors séance. Sauf si la nature des choses exige qu’il en soit autrement. Dans ce cas, il faut aussi l’approbation des Parties.Les Observateurs Indépendants n’interviennent pas dans les débats. Ils envoient directement à la Médiatrice pour toutes fins utiles, leurs suggestions, remarques ou points de vue.d. Ordre du jour La Médiatrice détermine, en accord avec les Parties, un ordre du jour avant chaque rencontre. Au début de la séance, la Médiatrice met l’ordre du jour en discussion, puis la soumet à la validation des Parties en présence.e. Présidence des séances La Médiatrice assure la présidence des séances. A ce titre, elle :i. Détermine le lieu de la tenue des séances ; ii. Convoque les Parties et organise les séances de dialogue ; iii. Ouvre, lève ou suspend les séances; iv. Maintient l’ordre et assure la police des débats ; v. Attribue à chaque Partie un même temps de parole ; vi. Met les propositions en discussion en vue d’un consensus ; vii. Veille au respect des clauses du présent protocole et de tout autre accord signé entre les Parties en vue du bon déroulement du processus de médiation.f. Aparté et Impartialité La Médiatrice peut, quand elle le juge utile et opportun, avoir des apartés avec l’une ou l’autre des Parties, lesquelles peuvent aussi, à tout moment, demander à s’entretenir en aparté et confidentiellement avec elle. Ce droit est également reconnu aux Parties. La Médiatrice agit en tout temps, de façon indépendante et impartiale.La Médiatrice, en outre, ne juge ni de la valeur ni de l’opportunité des accords entre les Parties, mais elle crée les conditions d’expression de la volonté des Parties par tout moyen approprié.La Médiatrice n’émet pas de jugement de valeur sur les propositions ou suggestions des Parties et s’engage à les mettre en débat selon un ordre de priorité convenu ou décidé. 3. Obligations des Parties Chaque Partie qui se fait représenter à la table du dialogue, s’engage à : Observer les clauses du présent protocole ; Aborder le dialogue dans un esprit ouvert ; Respecter la ponctualité des rendez-vous ; Respecter le temps de parole qui lui est imparti ; Parler selon la vérité sans déformer les faits et les événements; Traiter son interlocuteur avec politesse et éviter tout comportement insultant ou des paroles blessantes ; Utiliser un langage modéré ; Écouter attentivement la vision du problème, le point de vue, les besoins et les attentes de son interlocuteur, jusqu’au bout sans l’interrompre.Chercher à comprendre son interlocuteur, avant, s’il y a lieu, de lui répondre ; Ne pas mépriser ou travestir l’opinion ou la pensée de l’interlocuteur ;Coopérer efficacement avec son interlocuteur pour tenter de résoudre avec lui les conflits d’interprétation; N’employer aucun moyen de pressions politiques extérieures durant toute la période de dialogue ce, même en cas d’abandon volontaire des pourparlers.Si la Médiatrice constate que de façon délibérée une ou des Parties représentées à la table du dialogue, se plaisent à bafouer ces exigences, elle prendra de concert avec les autres Parties telles décisions que de droit. 4. Confidentialité et Communication La Médiatrice et les Parties veilleront à préserver la confidentialité de l’ensemble du processus de médiation. La Médiatrice peut, si elle le juge opportun, faire signer à toute personne qui participe au processus de médiation un engagement de confidentialité.Les Parties conviennent que le ou les accords conclus dans le processus de médiation n’existent que lorsqu’ils sont signés par chacune des Parties. Elles acceptent de considérer qu’il n’y aura pas de convention entre elles tant que les accords conclus ne seront pas authentifiés par un procès-verbal signé par chacune d’elles.Tout ce qui est dit ou écrit au cours du processus de médiation est soumis au principe de confidentialité. La Médiatrice et les Parties s’engagent à ne rien invoquer ou dévoiler à la presse sans un accord formel sur la question et la matière.Pour la communication avec la presse, les Parties conviennent que c’est à la Médiatrice de la faire. Cependant la version officielle des faits est celle adoptée par les Parties et rapportée par la Médiatrice. Celle-ci est autorisée à parler de ce qui a été et non de ce qui sera pour éviter des anticipations qui bloquent ou discréditent le processus. La faculté de communiquer avec la presse est reconnue aux Parties aussi dans le strict respect des principes d’éthique et de confidentialité.La Médiatrice et les Parties conviennent qu’il peut y avoir un point de presse à la fin de chaque journée de dialogue. Aucun journaliste n’est autorisé à ce titre à être autour de la table du dialogue, que ce soit du côté de la Médiatrice, des Parties ou des Observateurs Indépendants.Les Parties conviennent que les documents une fois conclus, signés, publiés tombent dans le domaine public ; la propriété intellectuelle de ces documents appartient aux concernés, c’est-à-dire à la Médiatrice et aux Parties.5. Représentation des Parties aux séances de dialogue Chaque Partie doit s’assurer que seules les personnes dûment mandatées pour les représenter et pour conclure un accord, soient présentes aux rencontres de médiation. Les Parties établissent une liste de trois personnes ayant qualité de mandataires. L’exécutif, le parlement et les regroupements de partis politiques ont droit à trois (3) mandataires et trois (3) suppléants. Les partis politiques auront droit à un (1) mandataire et deux suppléants. Au cours des assises, seuls les mandataires prennent la parole.Les prénoms, noms des mandataires et suppléants sont communiqués à la Médiatrice quarante huit (48) heures avant le lancement officiel des assises.6. Durée du processus Les Parties s’engagent à tenter d’obtenir les résultats attendus du dialogue dans le temps proposé par la Médiatrice en fonction de l’agenda concerté. 7. Suivi des accords Les Parties conviennent de mettre en place une Commission de suivi des accords qui auront été conclus au cours du dialogue. Cette Commission sera supervisée par la Médiatrice.Cette Commission de suivi rend compte directement à l’instance de supervision. Elle sera formée de la manière dont il sera convenu entre les Parties.Fait à Port-au-Prince en autant d’exemplaires originaux que de signataires, le 24 janvier 2014.Les Parties c’est-à-dire l’Exécutif, le Parlement chaque parti politique ou regroupement de partis politiques ont signé le présent protocole avec la Médiatrice.Après signature, chaque Partie et la Médiatrice reconnaissent avoir reçu son exemplaire du présent protocole. » HA/radio Métropole Haïti

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