Exécutif dyarchique, le nœud gordien qui menace le processus électoral

Alors que le pays est en mode pilotage automatique doublé d’un imbroglio constitutionnel à la suite de l’assassinat du président Jovenel Moïse le 7 juillet dernier, une autre crise institutionnelle vient s’ajouter à la liste. Le tiers restant du Sénat propose Joseph Lambert en tant que président de la transition, pourtant le premier ministre Ariel Henry soutient que le prochain président sortira des élections. Attachés au protocole d’entente nationale, les 8 sénateurs signataires ne sont pas prêts à transiger, selon le vice-président du Grand Corps, Kedlaire Augustin.

Paraphé le 9 juillet par des partis de l’opposition ainsi que par le PHTK et ses alliés, le protocole d’entente nationale prévoyait que le sénateur Joseph Lambert et le Dr Ariel Henry dirigent le pouvoir exécutif respectivement en tant que président provisoire et premier ministre. Dans les 72 heures ayant suivi la signature de l’accord, Joseph Lambert devrait être investi, néanmoins un mois plus tard, le fauteuil présidentiel demeure vide. ‘‘La proposition de sortie de crise soutenue par les sénateurs offre une solution qui s’apparente aux prescrits de la constitution en vigueur’’, soutient le sénateur Kedlaire Augustin qui regrette que le protocole d’entente nationale n’ait été appliqué que partiellement.

Exécutif monocéphale ou bicéphale

Contesté, le président Jovenel Moïse devrait être remplacé par un gouvernement de transition pour une période d’environ 3 ans, selon une frange de l’Opposition alors que d’autres franges plus radicales exigeaient la mise en place d’un gouvernement de salut publique. Contre toute attente, le meurtre de Jovenel Moïse n’a pas facilité à la tâche, la crise prend de l’ampleur. Si au départ, une partie de la communauté internationale a jeté son dévolu sur le ministre des affaires étrangères, Claude Joseph qui assurait l’intérim en liquidant les affaires courantes du gouvernement Jouthe, les positions ont bougé par la suite. Dr Ariel Henry a pris fonction en dehors de la proposition du Sénat ainsi que des accords de la classe politique et de la société civile.

Lors de sa visite au Sénat de la République jeudi 5 Août, Ariel Henry s’est entretenu avec des membres du bureau dont le Président, Joseph Lambert, le vice-président et le questeur, Jean Marie Ralph Féthière. ‘‘J’ai abordé les questions politiques avec le premier ministre notamment de la nécessité d’avoir un président de la transition’’, révèle le sénateur Augustin.

Selon, Kedlaire Augustin, l’absence d’un président provisoire crée un handicap au sein de l’Exécutif cela pourrait empêcher la mise en place de certaines mesures qui relèvent du pouvoir et des compétences du chef de l’Etat. L’élu du Nord-ouest persiste et signe : une dyarchie est indispensable voire inévitable pour aller de l’avant. Les positions peuvent évoluer après discussions, poursuit le parlementaire qui faisait référence à l’éventualité que Joseph Lambert soit remplacé par une autre personnalité devant occuper le Palais National jusqu’à la tenue des prochaines élections. Les violons s’accordent-ils vraiment entre les prétendants à la succession de Jovenel Moïse ?  Sachant que le premier ministre prévoit une autre rencontre avec les membres du Grand Corps, sera-t-elle décisive ? Vont-ils finir par trancher ?

Quid des élections

Avec Ariel Henry seul aux commandes de l’Exécutif, y a-t-il un risque d’envenimer la crise ? Oui, certainement, répond le vice-président du Sénat qui met en garde le nouveau chef de la Primature. Pour M Augustin, il est impératif que les membres de l’actuel Conseil électoral soient remplacés par d’autres personnalités qui inspirent confiance compte tenu des irrégularités dans le processus de nomination et de prise de fonctions. Si le présent CEP est contesté en raison de son caractère illégal voire illégitime, les prochains le seront probablement à cause du dysfonctionnement de la Cour de Cassation, par conséquent du CSPJ, à la suite de la mort du juge René Sylvestre.

Seul le président peut convoquer le peuple en ses comices, soutiennent certains acteurs politiques notamment ceux qui ont signé le protocole d’entente nationale désignant Joseph Lambert comme président de la transition. Par conséquent, Dr Henry n’a pas la prérogative d’un président, martèle Kedlaire Augustin qui affirme que le processus électoral est actuellement dans une nouvelle impasse. Selon lui, il ne peut y avoir d’élections sans un président au Palais National.

Hormis le Sénat qui réclame la mise en application du PEN, Ariel Henry est également face à l’hostilité du Conseil Electoral Provisoire qui n’a pas apprécié les déclarations du chef du gouvernement en ce qui concerne la crédibilisation du CEP.  Me Guylande Mésadieu, présidente du Conseil a contesté publiquement ce qu’elle qualifie d’écart de la part du Dr Henry. Selon elle, le CEP n’a point besoin d’être crédibilisé.

Quoique des doutes persistent sur le déroulement des compétitions électorales suivant les dates prévues, ce bras de fer naissant risque d’entraver le calendrier électoral.  

Pendant que la question d’un exécutif dyarchique anime le débat au niveau national et menace de faire perdurer le statu quo, rien n’est encore joué tant que la communauté internationale ne dise pas son mot. Ingérence pour certains, mal nécessaire pour d’autres, le poids de l’avis de la communauté internationale dans les affaires internes du pays pèse très lourd. Alors que les protagonistes ont refusé de dialoguer pour sortir le pays de la crise, il a fallu une mission de l’Organisation des Etats Américains (OEA) pour enfin prendre note des doléances des uns et des autres. Même situation avec la nomination du diplomate Daniel Foote comme envoyé spécial pour Haïti dans l’objectif de favoriser la paix dans la perspective des élections. Le retour de Daniel Foote va-t-il faire évoluer la situation dans le bon sens ? Aura-t-il à tenir compte de ce nouveau paramètre de la crise qui est d’avoir un président aux côtés d’Ariel Henry ? Tout porte à croire que les événements qui surviendront dans les prochains jours seront décisifs.

En Haïti, un tohubohu sociopolitique et économique s’installe depuis plusieurs années pourtant l’assassinat de Jovenel Moïse a plongé le pays dans l’incertitude.

Marvens Pierre

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