LA COMMISSION INTERAMERICAINE DES DROITS DE L’HOMME APPELLE AU RENFORCEMENT DE L’ACTION INTERNATIONALE EN HAÏTI

La Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) vient de compléter une visite dans la République d’Haïti à l’invitation du Gouvernement de ce pays. Cette visite eut lieu du 18 au 22 avril 2005. La délégation de la CIDH était composée, de M. Clare K. Roberts, Président de la Commission et Rapporteur pour Haïti, de Mme Ismène Zarifis et M. Brian Tittemore, avocats du Secrétariat de la CIDH, de Madame Ourania Georgoulas, membre associé du personnel de l’OEA et boursière Romulo Gallegos, ainsi que de M. Bernard Duhaime, membre associé du personnel et professeur de droit à l’Université de Québec à Montréal qui a accompagné la délégation pour une partie de la visite. Le but de la visite de la Commission, sa première en 2005, a été d’une part, d’obtenir des renseignements généraux au sujet de la situation actuelle des Droits de l’Homme en Haïti, notamment à la lumière des élections qui sont prévues pour la fin de cette année et d’autre part de poursuivre les travaux entamés précédemment par la Commission dans le pays au sujet de l’administration de la justice. Sur la base des renseignements recueillis, la Commission estime qu’il y est urgent que soit renforcée l’action internationale en Haïti et que le Gouvernement améliore sa collaboration correspondante et ce surtout dans les domaines relatifs aux droits sociaux économiques essentielles tels que la santé, emplois, et éducation, de concert avec l’établissement de bases permettant l’élaboration de projets à long terme dans ces domaines par le gouvernement qui devrait prendre pouvoir au début de l’an 2006. Au début de sa visite, la Commission a rencontré des représentants du Gouvernement haïtien, des membres de la société civile, de même que des représentants d’organisations internationales. La Commission s’est réunie avec le Président de la République, M. Boniface Alexandre, le Premier Ministre, M. Gérard Latortue, le Ministre des Affaires étrangères et des Cultes, M. Hérard Abraham, le Ministre de la Justice et de la Sécurité publique, M. Bernard Gousse, le Ministre de l’Intérieur, des collectivités territoriales et de la sécurité publique, M. Georges Moïse ; ainsi que les Présidents et Juges de la Cour Suprême d’Haïti, le Vice-président et les Juges de la Cour d’Appel d’Haïti, le Président et le Greffier de la Cour de Première Instance en Haïti, et le Commissaire Principal de Port-au-Prince. La Commission a également rencontré l’Inspecteur Général de la Police Nationale d’Haïti, M. Franz Jean François, le Chef de Cabinet du Directeur Général de la Police Nationale d’Haïti, M. Max Jacques Louis, ainsi que le Protecteur du Citoyen, M. Necker Dessables et des représentants du Conseil électoral provisoire et le Conseil des Sages. De surcroît, la Commission a tenu des discussions avec des représentants de différents secteurs de la société civile, notamment un vaste éventail d’organisations non gouvernementales, comprenant des associations de femmes y compris des associations d’avocats, et des représentants d’organisations internationales incluant le International Crisis Group et le Comité international de la Croix-Rouge. De surcroît, la Commission s’est aussi réunie avec des membres du personnel de la Mission spéciale de l’OEA en Haïti, le Chef de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation d’Haïti (MINUSTAH), M. l’Ambassadeur Juan Gabriel Valdés et d’autres représentants de la MINUSTAH, y compris des représentants de la section des droits humains. De plus, la délégation de la Commission a visité le Pénitencier National à Port-au-Prince. La Commission a organisé un séminaire sur le Système interaméricain de protection des droits de l’homme avec des fonctionnaires de divers ministères et agences gouvernementales et avec l’appui du Premier Ministre et le Ministre des Affaires Étrangères, et a engage des démarches pour la mise en place d’un groupe de travail interministériel chargé d’assurer la coordination des responsabilités qui incombent à l’État haïtien dans le domaine des droits de l’homme. Dans le but de parfaire cette initiative, le Gouvernement s’est engagée a ratifier les traitées du Système Interaméricain des Droits de l’Homme, qui n’ont pas encore été ratifiés, ce qui constitue une étape positive menant vers la consolidation de la protection des droits fondamentaux et la règle de droit en Haïti. A la conclusion de sa visite, la Commission est principalement préoccupée par la question de la sécurité dans le pays qui s’est dégradée considérablement depuis la dernière visite de la Commission en septembre 2004. Préalablement à la visite, la Commission à recueilli des renseignements indiquant que des milliers d’armes demeuraient en possession de groupes armés illégaux, des gangs, et d’autres personnes non autorisées ; et la Commission a constaté qu’aucune initiative systémique de coordination de désarmement n’avait été lancée et qu’en outre les effectifs de la Police Nationale demeurent insuffisants et continuent de manquer d’une formation adéquate dans l’exercice effectif de leur devoir d’assurer la sécurité. A cet effet, la Commission encourage mise en œuvre immédiate du programme de désarmement, démobilisation et réintégration. Une évaluation approximative permet de conclure que les effectifs policiers se situent entre 3,000 et 5,000 pour une population totalisant plus de 8 millions d’habitants, et la police est en pénurie d’équipements de base essentiels tels que des véhicules et des armes. Entre autres, en raison de cette situation volatile, il est estime que depuis le 30 septembre 2004, plus de 600 personnes ont été tuées, y compris 19 officiers de police. Des enlèvements, des enlèvements de personnes dans leurs voiture et autres incidents violents sont largement répandues, notamment dans la capitale de Port-au-Prince, et des incidents d’exécutions extrajudiciaires par la police ont également été rapportés. Alors que les efforts de coopération entre la MINUSTAH et la police ont connu un certain succès, comme en témoignent les opérations lancées contre des groupes armés durant ces derniers mois, il est évident que ces efforts sont insuffisants et doivent être accélérés et répandues. La Commission souligne l’obligation de l’État de garantir la sécurité de sa population et d’assurer le droit à la protection judiciaire de personnes relevant de sa compétence. La Commission interpelle le Gouvernement haïtien à prendre les mesures nécessaires, en collaboration avec la communauté internationale, pour assurer la sécurité de sa population. La question de la sécurité a également aggravé les problèmes relatifs à l’administration de la justice. La prolifération d’actes violents s’ajoute aux charges de travail déjà onéreuses de la police et de la magistrature. Entre autres, les juges se retrouvent sans mesures de protection nécessaires leur permettant d’exécuter leurs fonctions sans crainte d’atteinte à leur intégrité physique. Il a été rapporté à la Commission que dans certains endroits problématiques, il y a interruption des services judiciaires. Deux incidents au Pénitencier national du pays, en décembre 2004 et février 2005, ont résulté en l’évasion d’environ 491 prisonniers, dont la plupart n’ont pas encore été appréhendées. De surcroît, des problèmes de longue date en Haïti, soit la détention prolongée d’individus sans accusation ou jugement, demeure toujours très préoccupante. Selon le rapport du Bureau du Protecteur du Citoyen publié en novembre 2004, environ 90% des individus dans les centres de détention divisées entre les 10 départements géographiques d’Haïti, n’ont pas encore fait l’objet de jugement ou de condamnation. Lors de sa visite au Pénitencier National, la Commission a découvert que des 1054 détenus en prison, seulement 9 d’entres eux avaient été formellement condamné d’avoir commis un crime. Au cours de sa visite, la Commission fut informée des efforts entrepris pour traiter ce problème, tel que l’accroissement du nombre d’audience tenue dans l’après-midi devant les magistrats en matière criminelle. D’autre part, il est évident que pour contrer cette situation de crise il est nécessaire que des mesures plus vigoureuses et immédiates soient entreprises et ce avec la fourniture de ressources additionnelles et d’assistance de la part de la communauté internationale. A cet égard, la Commission met l’accent sur l’obligation de l’État de garantir le droit de toutes les personnes relevant de sa juridiction, en vertu des garanties judiciaires entre autre le droit de connaître les chefs d’accusation contre elles et d’être traduites en justice dans un délai raisonnable. L’État a de plus une obligation de mettre fin à l’impunité pour tous les abus des droits de l’homme au moyen de procédures évidemment justes et effectives en harmonie avec les normes internationales. Par conséquent la Commission interpelle le Gouvernement, en collaboration avec la communauté internationale, à adopter les mesures qui s’avèrent nécessaires pour faire en sorte que le statut légal de toutes les personnes en détention fassent l’objet d’un examen judiciaire et soit précisé, de manière à garantir leur droit aux garanties judiciaires à la lumière de la législation nationale et internationale. La violence en Haïti continue d’avoir de sévères incidences sur la population locale et a exacerbé les conditions déjà désespérées des femmes et des enfants dans le pays. Selon des membres de la société civile, les femmes et les filles continuent d’être victimes de violence sexuelle par les membres de groupes armés, des gangs et d’autres parties en toute impunité. Par ailleurs, les femmes en détention sont détenues pour des périodes prolongées et dans des conditions inhumaines. Même si la Commission est contente d’apprendre qu’une loi criminalisant le viol en Haïti fut décrétée, la Commission ne saurait trop insister sur le renforcement réel de cette loi au moyen d’enquêtes efficaces, de poursuite et de sanctions. La situation volatile en ce qui concerne la sécurité continue aussi de poser des dangers pour les défenseurs des Droits de l’Homme, les membres des médias et d’autres qui se consacrent à faire respecter les droits fondamentaux et la gouvernance démocratique. La Commission a reçu de nombreux rapports relatifs à des menaces et des attaques contre les membres d’organisations non gouvernementales et de journalistes, y compris le meurtre de journalistes. A cet égard, la Commission réitère l’obligation de l’État de prendre des mesures concrètes pour prévenir les comportements de cette nature, notamment au moyen de la réalisation d’enquêtes effectives et la poursuite des auteurs identifiés dans les plaintes relatives à ces actes. La Commission est également très préoccupée par la menace que pose la violence généralisée pour la tenue des élections prévues pour les mois d’octobre et novembre de cette année. Un climat sûr permettant un débat politique, les campagnes et le vote est nécessaire pour les perspectives d’élections libres et justes. Conséquemment, des mesures urgentes doivent être prises pour éliminer la violence et assurer que le processus électoral puisse aller de l’avant sans délais, notamment avec l’achèvement des travaux relatifs au registre civil, ainsi que la facilitation d’autres préparatifs par le Conseil électoral provisoire. De plus, la Commission était contente d’apprendre la création d’une carte d’identité nationale qui permettra non seulement aux haïtiens de voter, mais leur fournira aussi une carte d’identité pouvant servir à d’autres fins pertinentes, ainsi consacrant le droit de toute personne a une identité. De plus, la Commission espère que le processus de Dialogue National, qui a débutée il y a deux semaines, va réussir à mouvoir tous les haïtiens, incluant les divers partis politiques, au-delà de la confrontation et vers la réconciliation, qui est essentielle à la prospérité future du pays. En dernier lieu, la Commission tient à souligner que le respect des droits civils et politiques du peuple haïtien ne peuvent être respectés sans le déploiement des efforts requis pour enrayer les graves problèmes relatifs aux droits sociaux et économiques dans le pays, notamment en ce qui concerne la pauvreté, le manque d’accès à des soins de santé adéquats ; le chômage et l’analphabétisme. Dans cette perspective, l’information reçue par la Commission indique que plus de 80% de la population haïtienne vit sous le seuil de la pauvreté et que plus des deux tiers de la main des ouvriers n’ont pas d’emplois formels. Les conditions du système de la santé sont au-dessous de la moyenne et il n’y a que 53% de la population qui est lettrée. Le Premier Ministre a informée la Commission que malgré ces conditions accablantes, il n’y a que 10% des US $1.4 milliard promis par les donateurs en 2004, qui fut déboursée. Dans ce contexte, la Communauté internationale, y compris les États membres de l’OEA, doivent tout faire pour que les fonds et autres ressources promis pour Haïti soient versés et répartis de toute urgence. Le versement et la répartition de ses fonds permettra a l’État de s’acquitter immédiatement de ses fonctions, entre autres en ce qui concerne l’éducation, les soins de santé, et la création d’emploi, ainsi que le renforcement de la capacité de l’Etat à assurer la sécurité et le bon fonctionnement de la police et du système judiciaire. Haïti doit être habilitée à assurer sa stabilité et sa prospérité à long terme. Source: CIDH

Publicité