Des rebelles proclament « l’indépendance » à Haïti

GONAIVES, Haïti (Reuters) – La bande armée et les anciens militaires qui ont pris le contrôle de la ville haïtienne de Gonaives y ont proclamé jeudi un « Etat indépendant » et ils ont nommé un gouvernement et un président. Quelque 20.000 personnes rassemblées sur la grand place de Gonaives ou juchées sur les toits de masures de bidonvilles ont assisté à l’arrivée au rassemblement de Buter Metayer, ancien partisan du président Jean-Bertrand Aristide, devenu l’un de ses adversaires les plus déterminés. Revêtu d’un costume blanc et arborant des lunettes cerclées d’or, il a scandé avec la foule: « Seuls nous sommes faibles, ensemble nous sommes forts, ensemble nous sommes la résistance ». Les rebelles ont proclamé l’indépendance d’Artibonite, la région rizicole entourant Gonaives, avec Metayer pour président.Le secrétaire d’Etat américain Colin Powell a évoqué jeudi pour la première fois une éventuelle démission d’Aristide comme un possible moyen de sortir de la crise. Renâclant à dépêcher une force en Haïti pour aider à maîtriser la rébellion, Powell a déclaré que le départ d’Aristide ne pourrait constituer un élément de plan de paix. Mais, a-t-il ajouté dans une interview à la radio ABC, « vous savez, si un accord intervient allant dans une autre direction, c’est bien ». Mais Aristide, qui a contribué au renversement de la dictature Duvalier mais est maintenant accusé de violence politique et de corruption, a réaffirmé qu’il n’avait pas l’intention de partir. « Il est certain que je serais prêt à mourir si c’est nécessaire pour défendre le pays », a dit Aristide lors d’une cérémonie à Port-au-Prince, à la mémoire de dizaines de policiers tués. La rébellion a fait une cinquantaine de morts. Aristide a déclaré aux policiers présents qu’ils vaincraient les rebelles par « la force pacifique, la force morale, la force civique, la force constitutionnelle et la force démocratique ». « La guerre coûte cher, la paix peut coûter plus cher encore », a-t-il ajouté. DELEGATION INTERNATIONALE Le Pentagone a annoncé qu’il réunissait une petite équipe pour aller évaluer la sécurité en Haïti et voir si l’ambassade des Etats-Unis était suffisamment protégée. A Ottawa, le ministre canadien des Affaires étrangères, Bill Graham, a annoncé que les Etats-Unis, le Canada et la France enverraient samedi en Haïti des émissaires chargés d’exhorter le président Jean-Bertrand Aristide à respecter les engagements pris envers des personnalités d’opposition. Il a ajouté que le groupe comprendrait aussi des représentants de l’Organisation des Etats américains et du groupe régional Caricom. Mais le Canada a souligné qu’il ne demandait pas la démission d’Aristide. « A l’évidence, nous ne pouvons laisser ceci continuer à se développer de la sorte », a-t-il dit à des journalistes. Aristide a rencontré ce mois-ci à Kingston, en Jamaïque, des médiateurs et il a accepté une série de mesures destinées à sortir de l’impasse, engagements qu’il n’a pas respectés, selon Graham. « Nous avons décidé – nous tous – une démarche commune pour lui dire: ‘Voyez, vous devez respecter les engagements pris à Kingston », a dit le chef de la diplomatie canadienne. Les mesures arrêtées à Kingston prévoyaient notamment de créer un conseil de gouvernement, de nommer un nouveau Premier ministre et de désarmer les bandes servant des partis politiques. Le Canada compte 150.000 habitants d’origine haïtienne, vivant pour la plupart au Québec. « Il est clair que nous ne voulons pas la tête d’Aristide. Nous pensons qu’Aristide doit rester (…) il est clair que nous voulons une solution politique », a dit Denis Coderre, ministre chargé des relations avec la Francophonie, qui représentera le Canada au sein de la délégation. REBELLES DE RETOUR D’EXIL Haïti a réclamé mardi une aide internationale pour apporter une assistance technique à ses 5.000 policiers, débordés. Washington et Ottawa ont répondu qu’il n’en était pas question tant que les combats n’auraient pas pris fin et qu’un dialogue ne serait pas engagé entre les parties. Les hommes de Metayer ont chassé la police de Gonaives le 5 février après des mois de troubles déclenchés par le meurtre du frère de Metayer, Amiot, chef initial de la bande armée. Guy Philippe, ancien chef de la police de Cap-Haïtien, deuxième ville du pays, autrefois accusé par Aristide de préparer un coup d’Etat, a été nommé chef des forces armées de l’Artibonite. Philippe, qui avec Louis Jodel Chamblain, chef d’une ancienne milice d’extrême droite, est rentré ce week-end d’exil en République dominicaine, était accompagné d’une cinquantaine de combattants, a rapporté un cameraman de Reuters. L’un de ces hommes a dit qu’ils étaient venus « libérer le pays ». Il a expliqué qu’il avait fui Haïti lorsqu’Aristide a démantelé l’armée après avoir été rétabli au pouvoir en 1994 à la faveur d’une intervention américaine. Aristide avait été renversé trois ans auparavant par un coup d’Etat. Il a été réélu en 2000 lors d’un scrutin boycotté par l’opposition qui dénonçait des élections législatives truquées organisées peu auparavant. Les rebelles ont juré de prendre Port-au-Prince mais les observateurs doutent qu’ils aient la puissance de feu nécessaire, bien qu’ils dépassent en nombre les 5.000 policiers que compte le pays.

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