Haïti attend, depuis près d’un an, l’aide internationale promise

Selon le représentant de l’ONU dans le pays, à peine 10 % des fonds promis ont été versés. En six mois, la Minustah a dépensé près de 500 millions de dollars. A la représentation de l’Union européenne à Port-au-Prince, on précise que « tous les engagements ont été confirmés ». Près d’un an après la chute du président Jean-Bertrand Aristide, le 29 février 2004, les Haïtiens attendent toujours l’aide économique qui devait accompagner l’engagement militaire de la communauté internationale. En septembre 2004, les ravages provoqués par la tempête tropicale Jeanne ont encore retenu l’attention, avant que l’opinion mondiale ne soit sollicitée par d’autres drames. Juan Gabriel Valdés, l’ex-ministre des affaires étrangères chilien, qui dirige la mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah), ne cache pas son impatience. « Environ 100 millions de dollars -80 millions d’euros-, à peine 10 % de l’aide promise par les bailleurs de fonds, sont arrivés. Nous voudrions un rythme de décaissement beaucoup plus actif », dit-il. Lors d’une réunion à Washington en juillet 2004, les principaux bailleurs de fonds s’étaient engagés à hauteur de 1,4 milliard de dollars (1,1 milliard d’euros). Le Brésil, qui a envoyé le plus gros contingent de casques bleus sur place, a menacé de retirer ses troupes si les promesses d’aide ne se concrétisent pas rapidement. Le ministre brésilien des relations extérieures, Celso Amorin, appelle la communauté internationale à ne pas oublier Haïti. La lenteur de l’aide est d’autant plus choquante qu’en six mois la Minustah a dépensé près de 500 millions de dollars (400 millions d’euros). « Les dépenses ont été gonflées par les frais d’installation de la mission, mais elles restent disproportionnées par rapport à ce qu’elles laissent au peuple haïtien », reconnaît M. Valdés. La lourde machine de l’ONU s’est déployée en Haïti avec ses centaines de 4 × 4 rutilants et sa pléthore d’experts, dont on dit à Port-au-Prince que les salaires atteignent couramment 10 000 dollars par mois (80 000 euros). LE POIDS DES PROCÉDURES Dans le même temps, les conditions de vie de la population sont toujours aussi misérables. Il y a un peu plus d’électricité, et les prix ont un peu baissé pour quelques produits, mais les grands travaux créateurs d’emplois tardent à démarrer. « Il faut trois mois d’échanges de lettres avec Washington pour acheter du matériel informatique qu’on pourrait acquérir beaucoup plus vite sur Internet. Même chose pour les véhicules, ce qui nous oblige à en louer en attendant. Pour recruter un chauffeur ou un jardinier, il faut une lettre de non-objection », raconte Frantz Verella, le responsable haïtien d’un projet de réhabilitation d’infrastructures financé par la Banque interaméricaine de développement (BID). D’un montant de 77,8 millions de dollars (61 millions d’euros), ce projet, approuvé en 2003, vient à peine de démarrer. A la lourdeur des procédures de la BID s’ajoute l’incompétence d’une partie du personnel de cette institution, « qui semblait avoir pour consigne de bloquer les décaissements sous Aristide ». Côté haïtien, les problèmes ne manquent pas. « Il n’y a pas de stratégie nationale, pas de planification ni de coordination entre les ministères. Depuis vingt ans, on s’est acharné à détruire l’Etat, qui est dans un état inimaginable », souligne Frantz Verella. Plusieurs diplomates craignent que la frustration de la population ne favorise les candidats proches de M. Aristide lors des élections présidentielle et législatives, annoncées pour le 13 novembre (premier tour) et le 18 décembre (second tour). L’ex-chef de l’Etat Leslie Manigat, 74 ans, a lancé le premier, lundi 7 février, sa candidature à la présidence. A la représentation de l’Union européenne à Port-au-Prince, on préfère garder un profil bas « pour ne pas envenimer le débat ». « C’est vrai que les bailleurs de fonds ont été trop optimistes. On aurait dû expliquer qu’il faut plusieurs mois pour obtenir les dérogations d’urgence. L’important, c’est que tous les engagements ont été confirmés », souligne un diplomate européen. « La contrepartie haïtienne n’est pas toujours à la hauteur. On nous a présenté des dossiers qui ne pouvaient être financés, ni sur le fond ni sur la forme », ajoute-t-il, tout en affirmant que les décaissements européens des six derniers mois ont été supérieurs à ceux de la même période de 2003. « Je crois en la bonne volonté des bailleurs de fonds », dit le ministre de l’économie et des finances, Henry Bazin. Cet ancien président de l’Association des économistes haïtiens, réputé intègre et compétent, explique les retards par « une certaine lourdeur, surtout des institutions multilatérales, la période de vacances qui a suivi la réunion de Washington et la vague de violence déclenchée par les partisans de l’ancien président à partir d’octobre ». M. Bazin ajoute que le gouvernement ne reste pas les bras croisés. « Lorsque nous sommes arrivés en mars, les caisses de l’Etat étaient tout sauf pleines. En décembre 2004, les recettes fiscales ont été supérieures de 75 % à celles de décembre 2003. Je constate un certain élan de civisme fiscal, car les contribuables ont conscience que l’argent est plutôt bien utilisé », se félicite-t-il. « Notre politique de discipline et de rigueur a été saluée par le Fonds monétaire international et nous permet d’envisager un rapide retour à la croissance », ajoute M. Bazin, citant la revalorisation de la gourde, la monnaie haïtienne, et le ralentissement de l’inflation, « passé de 40 % à 22% ». « Même si l’aide internationale n’arrive pas, nous ferons les routes entre Saint-Marc et Gonaïves et entre Port-au-Prince et Mirebalais, promet le ministre. Plus importante encore que l’aide internationale est celle de la diaspora haïtienne, dont les transferts de fonds représentent plus de 1 milliard de dollars par an. » Jean-Michel Caroit , envoyé spécial ( Le Monde), 9 février 2005 L’électricité est revenue, rationnée L’amélioration de la fourniture d’électricité a constitué l’un des rares changements positifs dans la vie quotidienne des Haïtiens après le départ en exil de Jean-Bertrand Aristide. Grâce à une aide budgétaire de 3 millions de dollars par mois accordée par les Etats-Unis, les centrales d’électricité d’Haïti ont pu être approvisionnées en carburant et les habitants de Port-au-Prince ont bénéficié d’une douzaine d’heures de courant par jour. Mais l’enveloppe de 38 millions de dollars approuvée en juillet 2004, qui a aussi financé des uniformes et du matériel scolaire, sera épuisée en février.La situation risque d’être d’autant plus critique que le barrage de Péligre, la principale source d’électricité hydraulique, est à sec chaque année entre février et mai.

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